XXII – Miettes de musique
Je ne vais pas vous chanter mes cours de musicologie dont vous pouvez deviner la teneur, surtout celle des majeures : solfège, harmonie, Histoire de la musique ancienne, Histoire de la musique moderne etc.
Je vais juste vous en narrer quelques brefs épisodes inoubliables. Il faut d’abord vous rappeler le cadre de ces études de Lettres et Arts à dominante musicologie.
Les cours magistraux avaient lieu essentiellement dans les amphithéâtres historiques de la Sorbonne et les autres dans les locaux en quasi préfabriqués de l’année à la porte de Clignancourt à deux pas des puces (J’y allais tous les lundi sans en ramener autre chose que des bandes magnétiques…de première main ).
Vu la finesse des murs, on entendait ce qui se jouait dans la pièce d’à côté.
Un souvenir qui frappa mes oreilles est celle de l’accord de 14 notes par lequel Stravinsky ouvre son ballet de sacre du printemps. Michel Delahaye professeur de solfège et d’harmonie arrivait à jouer ces 14 notes avec (en principe) seulement ses dix doigts (de mains, jusqu’à preuve visuelle). Réussir à faire entendre et écrire ces 14 notes à toues sa classe lui prit plusieurs semaines.
En cours d’harmonie avec le même Michel Delahaye, nous apprîmes que, contrairement à ce que prétendaient ses confrères et consœurs plus académiques, Bach n’était pas le parangon de l’Harmonie classique et que sa richesse venait même de son audace à en transgresser les règles. L’année suivante, à l’université de Vincennes, un autre professeur d’harmonie nous ouvrit encore davantage l’esprit et les oreilles : l’Harmonie (avec un grand H) n’ avait jamais existé. De ce fait nous devions composer selon l’harmonie de Bach, Mozart, Ravel ou autre De même personne n’avait jamais écrit de musique classique. Ce sont les compositeurs les plus innovants que nous appelons les classiques. A la Sorbonne, le piano était l’instrument obligatoire pour accompagner et harmoniser une mélodie. A Vincennes, tous les instruments polyphoniques étaient admis : piano, guitare, accordéon…
A la Sorbonne, selon notre enseignante, qui ressemblait à ma disquaire d’Antony Technique, la maladie de Parkison en moins, la musique (la grande du moins) se serait arrêtée à la grande guerre, soit à ce qu’elle appelait le premier Debussy. J’en ai conclu que ce compositeur, que j’aimais jouer au piano, avait écrit son Petit nègre après cette sale guerre. J’avoue que l’étude de la musique contemporaine à Vincennes (dont l’analyse des œuvres de Dutilleux) a exigé une attention particulière à la limite de l’effort intellectuel, sans parler de la découverte de la musique atonale et polytonale. J’avais pourtant présenté La création du monde de Darius Milhaud au bac-musique, mais tant de pans de la musique contemporaine restaient à découvrir grâce à un enseignant droit dans ses bottes et bien dans son siècle.
En dehors des cours de musique, nous avions des cours d’Histoire de l’Art. Nous en découvrions les dessus et les dessous, au sens propre et au sens figuré. En matière d’Art moderne, une belle enseignante nous appris que le tableau d’Antoine Watteau rebaptisé Le Pèlerinage à l’île de Cythère avait au départ un tout autre titre car il s’agissait d’un embarquement ou d’un retour d’ une « fête galante » sur une île dédié à Aphrodite, la déesse de l’amour., version baroque de notre Ile de la tentation. De la même manière on rebaptisa Les demoiselles d’Avignon le tableau Pablo Picasso avait initialement intitulé Le bordel d’Avignon ( El Burdel de Aviñón ).
En Histoire de l’Art médiéval, en grand amphithéâtre de la Sorbonne, un certain Noisette nous projetait des gros plans sur différentes parties des cathédrales et y voyait partout des symboles sexuels, avec moult détails sur les mamelons et autres poitrines qui auraient servi de modèles voire de matrices pour les clefs de voûte. Bien évidemment les croisées d’ogives représentaient des seins pointant vers le ciel.
Nous avions également des cours de littérature et je me souviens que j’avais été invité à présenter un exposé sur Le roi de meurt d’Eugène Ionesco. Madame Attali-Gillois, notre prof de Philo de terminale, nous avait déjà donné à lire La cantatrice chauve et autres pièces incontournables comme La leçon ou Les chaises, mais j’avais cette année-là décidé de lire tous les romans et toutes les pièces de Ionesco.
Le roi se meurt m’avait totalement bouleversé. Je m’aperçus, de page en page, que ce roi se sentant mourir, et vu que personne ne lui avait jamais parlé de la mort, voulu se persuader, avec l’aide de son épouse, que c’était le monde qui mourait à lui, ou plus exactement tout autour de lui. Je pense avoir correctement fait visualiser la scène car un grand silence attentif se fit durant mon exposé et notre prof m’en félicita.
Je crois que je suis en train de donner l’impression que je n’ai passé ma vie que devant un grand tableau noir. Certes et un DEA de philosophie et une licence de musicologie en valait bien la chandelle, mais je dois à présent m’apprêter à aborder avec vous l’envers du décor et ouvrir le chapitre (ou le tome) de mes rencontres durant toutes ces années estudiantines.
Attention ! Sortir les mouchoirs.
Pour visionner Le roi se meurt :
Un récit souvent très drôle mais surtout passionnant: ! Dans la musique et dans les arts visuels, les élèves sont allés de surprise en surprise. En littérature, l’auteur nous donne vraiment envie de lire l’oeuvre d’Eugène Ionesco!