LV – Mes années Picpus (début)
Comme vous l’avez lu précédemment, mon père avait étudié au séminaire. Son meilleur ami s’appelait Jean Milon, devenu le père Milon. Je ne l’ai rencontré que l’année de la soutenance de ma maîtrise de philosophie intitulée La théologie naturelle et ses limites. J’y présentais toutes les voies par lesquelles on peut dire quelque chose de Dieu (Théo-logie) sans référence à la Révélation (La Bible). Ce père était en train de rédiger sa thèse d’histoire tout en ayant la responsabilité de la Formation humaine et religieuse (encore appelée Catéchèse) des élèves du Lycée Saint Michel de Picpus dans le 12ème arrondissement de Paris. Après m’avoir emprunté mon mémoire pour le lire chez lui, il revint vers moi pour me demander mon autorisation pour le présenter au père directeur de son établissement, le père Pierre Guitton, de la congrégation Sainte Croix…Son objectif était de me faire engager sur son poste alors qu’il s’apprêtait à le quitter pour se consacrer à ses recherches historico-religieuses.
Le père Guitton me convoqua sur le champ, me félicita pour mon mémoire et me proposa d’un faire mon programme de formation humaine et religieuse pour ses élèves de second cycle, en complément d’un poste de professeur de philosophie qu’il souhaitait également m’attribuer.
Je crois que son sourire et son œil aussi perspicace qu’intelligent m’a enclin à répondre positivement sans hésiter. J’aurais donc à charges en catéchèse toutes les classes de la Seconde à la Terminale et toutes les classes de Terminale en philosophie.
Pour parfaire mes connaissances de culture religieuse, le père Guitton m’inscrivit en licence de STBS (Science de Théologie Biblique et Systématique) à l’Institut catholique de Paris durant mes heures sans mission éducative.
J’avais comme ‘collègue’ et référent spirituel, le père Bouvier (personne ne sut jamais qu’il se prénommait Luc-Marie), un Don Camillo en soutane, l’accent du midi en moins. Il ne jurait que par le latin à la chapelle du lieu comme partout ailleurs. Cet abbé vintage ne sortait jamais de son cabinet qui avait la taille et l’allure d’un grand confessionnal.
Dans la charte de l’établissement, les maîtres-mots étaient Excellence et Conviction, mais aussi Ouverture. Cette dernière valeur était plutôt incarnée par un certain monsieur Bénard, qui lui aussi semblait passer toute la semaine confiné dans son bureau vitré.
Mes classes comptaient une quarantaine d’élèves, ce qui n’était pas la configuration idéale pour initier un enseignement personnalisé, et encore moins des séances de formation humaine et religieuses lors desquelles j’attendaient que chacun n’hésite pas à partager ses propres convictions et ses expériences vécues.
Les classes de C (les matheux) prenaient les dissertations de philosophie pour des mots croisés ou se croiseraient les citations, presque à la manière d’un puzzle. Les classes de A (les littéraires) avaient tendance à prendre leur plume pour improviser de la littérature romantique. Seuls les classes de D (les férus de SVT) manifestaient un juste équilibre car ils réfléchissaient à partir du concret, et je m’y retrouvais en raison de ma formation en épistémologie (philosophie des sciences). Ils étaient en quête de tout lien non seulement entre la théorie et la pratique, mais aussi entre la morale et les valeurs enseignées et leur vécu.
Pour l’année suivante, j’ai demandé au père Guitton l’autorisation de distinguer géographiquement mes cours de philo (demeurant en salle de classe) et mes séances de formation humaine et religieuse (J’obtins la petite salle équipée de fauteuils sises au-dessus du bâtiment de l’infirmerie). J’obtins aussi le feu vert pour recevoir en ce lieu demi-classe par demi-classe. A partir de ce moment, chacun parla sans vergogne et chacun pouvait parler librement de ses expériences (souvent sentimentales) ou de ses questionnement (jusqu’à celui sur sa vocation).
C’est dans cet espace de liberté (j’appelais mes élèves par leur prénom) que j’eus l’idée du pari de remplir à nouveau la chapelle qui ne comptait que 4 ou 5 latinistes (pour ne pas dire intégristes) pour les messes du père Bouvier. J’avais pu apprendre qu’Frédéric composait des chants chrétiens et qu’Alain, l’agnostique patenté, maniait habilement les percussions. J’ai complété l’équipe d’animation par de jeunes musiciens de l’aumônerie d’Antony. La messe aurait lieu le samedi après-midi (au grand dam de l’abbé Bouvier). La chapelle devint vite méconnaissable : non seulement il y avait des instruments de musique et des amplificateurs tout autour de l’estrade de l’autel, mais elle débordait de parents et d’amis des lycéens. Je me suis partagé entre l’orgue et le micro pour l’animation des chants qui tous étaient dynamiques et remuaient les préjugés et le confort facile. Des titres ? Quittez vos basses eaux, Il est temps de quitter vos tombeaux, Un vent de liberté vient de souffler et en envoi final Ne rentrez pas chez vous comme avant. Ambiance pop-louange qui combla le père Guitton qui célébrait l’une de ses dernières messes en ce lieu qu’avait fui l’abbé Bouvier, une botte de persil dans chaque oreille.