XXIV – Loin des yeux, près du coeur – La merveilleuse Alice
Quand j’avais 14 ans, mon papa n’avait plus trop le moral et ne savait même plus où nous emmener en vacances. Je lui ai proposé d’aller dans la seule région jamais visitée : l’Alsace. Comme il me disait qu’il n’y avait rien réservé, je lui répondis à brûle pourpoint « A la grâce de Dieu ! Partons et la suite appartient à Dieu qui nous guidera et nous fera signe quand nous devrons nous arrêter ». Nous prîmes la nationale 4 (Jean-Michel Jarre n’avait pas encore composé Oxygène pour l’inauguration de l’extension de l’autoroute A4). Après avoir roulé sans se presser presque toute une journée, nous quittâmes ce grand axe pour nous diriger vers Munster. Je dis à mon père de se garer dans une petite rue afin que je demande conseil. J’ai donc sonné à la première porte et, après en avoir salué l’occupante, je lui ai expliqué que nous étions partis « à la grâce de Dieu » et que nous cherchions un hébergement pour le soir même ; Cette charmante alsacienne nous a indiqué une communauté religieuse en haut d’une colline dans le village d’Hohrodberg ; Nous y sommes aussitôt montés. Un sœur nous a ouvert le porte de sa communauté nous répondant qu’elle n’avait plus de place à nous proposer, mais que juste en face, entre un pré et un bois, il y a avait une maison d’accueil évangélique nommée St.Chrischona. Nous y fûmes aussitôt accueillis le plus fraternellement du monde, avec, au départ, la crainte qu’une famille catholique n’y soit pas la bienvenue. Crainte totalement infondée.
Dans la nouvelle bâtisse, il y avait deux jeunes filles de la région engagées comme bénévoles pour « faire les chambres », c’est à dire la remise en ordre de toute la maison au final . J’ai tout de suite sympathisé avec ce deux sœurs. Elle se prénommaient Ingrid, pour l’aînée, et Alice pour la cadette. Alice était la plus blonde et a plus craquante des deux, aussi avais-je repéré aussitôt ses chambres et ses horaire. J’aimais la voir oeuvrer avec un adorable sourire et parler avec elle. Entre ses temps de service nous nous promenions dans la forêt, juste derrière le centre Chrischona. Quelque chose de très beau et de très fort s’était noué entre nous au point que le jour de mon départ, nous nous étions promis de nous écrire. Vu nos âge, pas question que nos corps se rapprochent, ni nos mains ni nos lèvres, mais juste nos coeurs et celui-ci résonnait jour et nuit dans ma poitrine depuis que je connaissais Alice. Je l’avais prise en photo assise sur son lit, parée du sourire que j’affectionnais tant. Cette photo m’a accompagné durant des années dans mon portefeuille de collégien puis de lycéen. Durant quatre années, nous nous sommes écrit toutes les semaines. Dans sa première lettre, elle me confiait qu’elle avait rêvé que nous étions mariés et que nous avions quatre enfants, ajoutant que c’était en fait son désir qui s’y exprimait. Sur le coup, une telle lecture m’a fait un peu peur. Surtout les quatre enfants. Nous n’étions pas logés à la même enseigne : J’étais fils unique tandis qu’elle avait des sœurs et un frère. Je n’avais en fait aucune idée de ce que pouvoir représenter un couple avec quatre enfants.
Je suis retourné en Alsace avec mes parents l’année de mon baccalauréat, pas à Hohrodberg, mais au VVF de la banlieue d’Obernai. J en avais avertie Alice par courrier en m’engageant à l’appeler pour fixer un rendez-vous. Aussitôt après le pot de bienvenue (où j’ai fait la connaissance avec l’Edelzwicker et avec José Garcimore qui m’apprit l’un de ses fameux tours de cartes), j’ai couru vers la cabine téléphonique et j’ai eu la joie d’entendre la voix d’Alice. Je n’avais jamais osé l’appeler depuis chez mes parents, à la fois pour rester discret et pour ne pas attiser davantage le feu ; Cette fois j’entendais la voix d’Alice après quatre années de silence radio pour mes oreilles. Ce fut quelque part un choc car sa voix avait mué et son accent alsacien s’était grandement accentué. Elle me donna son adresse exacte afin que je la transmette à mon papa qui devait me conduire vers chez elle.
Mon papa a regardé sur sa carte Michelin. Elle n’habitait pas tout près. Mon père commença par me décourager : « Tu risques de souffrir encore quatre ans si tu la revoies et ça sera encore pire. On en reparlera plus tard. ».
Et puis, comme il disait, il y avait d’autres filles avec qui sympathiser dans le VVF. De fait, dès le pot de bienvenue j’avais trinqué avec Angélique, petit ange blond autour duquel tous les garçons virevoltaient, et avec Danièle, une belle fille à la longue chevelure auburn. Du côté d’Angélique, je me suis retrouvé au spectacle de la comédie humaine. Elle passait de bras en bras, y restant de moins ne moins longtemps. Un jour, tous ses soupirants étaient avec elle dans son bungalow et le petit ange pleurait toutes les larmes de son corps. Elle chassait tous ces jeunots un peu lourdauds qui essayait de la consoler et alla pleurer seule dans sa chambre. Sans hésiter, je m’y suis glissé et elle a écouté mes mots de consolation car je n’avais jamais cherché à en faire ma poupée d’un soir. Au moment où elle essuyait ses larmes, mon père entré furieusement dans sa chambre, m’en extirpa par la main en criant « Toute ta vie je t’ai appris à ne pas faire de bêtises. Tu ne vas pas commencer à 18 ans ! ».
Bien entendu cet épisode sonna le glas de mes retrouvailles avec ma petite Alice. J’ai été obligé de l’appeler pour lui dire que ce rendez-vous que j’attendais depuis quatre longues années serait partie remise. Je n’ai plus jamais reçu de nouvelles d’elle. J’ai cherché maintes fois à en obtenir, jusqu’à aujourd’hui. En vain.
Je trouve ce texte de Jean marine très touchant et même émouvant. J’ai une histoire qui ressemble à ça. J’ai aimé une fille à 18 ans et il m’est arrivé pratiquent la même chose. Échange de lettres puis plus rien. Elle était finlandaise. Difficile d’y retourner.
Récit très touchant d’un premier amour, vécu à l’adolescence, et combien le premier amour peut être fort et beau! Une autre rencontre nous montre la propension très noble , déjà, à vouloir aider les autres.
Tout vient de l’équation que mon père m’a inculquée : aimer = aider