XIX – Les filles des pèlerinages – Marie -Paule
L’année suivante, le pèlerinage de Chartres coïncidait avec le long week-end de la Pentecôte, donc trois jours de marche pour le prix de deux. A peine descendu de l’estrade du rassemblement des pèlerins à la descente du train, une magnifique blonde, ou plutôt châtain clair, avait l’air de m’attendre en bas des marches. Elle venait de Suisse , mais loin d’être petite, étudiant l’Histoire des Arts à Genève et, allant jeter un œil sur la filière parisienne, elle m’avait aperçu…dans les couloirs de Clignancourt et au CEP Sorbonne. Elle était heureuse de…connaître quelqu’un parmi ces centaines d’inconnus. Elle avait pris dix jours pour le pèlerinage et mieux connaître notre capitale. Elle se prénommait Marie-Paule et sa présence annonçait un pèlerinage qui allait se dérouler sous les meilleurs augures.
Pas après pas, des convergences entre nous se mettaient à jour. Même passion pour les arts, la louange, la culture internationale etc.
On partageait absolument tout, même nos sandwichs, c’est pour dire ! Donc de rapprochement en rapprochement, nous nous sommes retrouvés à partager le même matelas mousse et le même sac de couchage. Nous étions loin d’être les seuls à utiliser cette méthode calorifuge vu la fraîcheur des nuits dans les granges aménagées en dortoir. Marie-Paule, tout en se blottissant contre moi pour se réchauffer me dit à l’oreille :« J’ai deux choses à te confier ». A son intonation, je devinais qu’il y en avait une bonne et une mauvaise. Je l’ai laissé choisir l’ordre des révélations. La première était : « Je ne mes suis jamais sentie aussi bien avec un garçon, jamais si proche, jamais dans une telle harmonie… ». La seconde phrase avait déjà un inflexion qui allait inverser la polarité de la première avec sa petite odeur de “mais” (on était réellement en mai) : « mais je suis désolée de devoir te dire que je me suis promise à un jeune étudiant à Genève ». S’ensuivirent, en ce pèlerinage, deux jours merveilleusement platoniques durant lesquels le reste du monde avait quasiment disparu autour de moi. Et la semaine qui a suivi, on ne s’est pas davantage éloignés l’un de l’autre, jusqu’au samedi soir où je l’ai invitée à la soirée prévue chez mes copains de la résidence Les Iris. C’était la seule fille, et pas n’importe laquelle, aussi Serge, Marc et Frédéric, n’avaient-ils d’yeux que pour elle qui se tenait au plus proche de moi et, lors des adieux, l’un d’entre eux m’a glissé à l’oreille « Tu as une chance incroyable, où as tu pioché un tel canon ? ».
J’ai raccompagné Marie-Paule à la gare et, après un dernier enlacement assorti d’un baiser sur la joue, je n’ai plus jamais reçu de ses nouvelles. Sûrement pour la bonne raison que, d’un commun accord, nous nous étions abstenus d’échanger nos adresses.