Le lit bateau ivre…
Tandis que j’élaguais, un saule irascible,
Je tombais de l’échelle, poussant un cri d’horreur!
Une branche cassante me pris soudain pour cible,
Et m’avait cloué nu sur un lit de douleur.
J’étais insoucieux de tous les babillages,
Des oiseaux entonnant d’ineffables couplets,
Quand après ces clameurs ont fini les tapages,
Le délire m’a laissé voguer où je voulais.
Parmi les geignements furieux des opérés,
Je me laissais soigner comme un petit enfant,
Je voulus voir encor la vie redémarrer,
Dans un tohu-bohus heureux et triomphant.
La tempête de souffrances était bien légitime,
Plus léger qu’un bouchon, je dansais sur les flots,
Parfois il me venait quelques espoirs infimes
Et puis je m’endormais sous l’œil niais d’un falot!
Plus douce qu’une enfant, l’infirmière aux mains sûres,
M’injectait la morphine pour calmer mon bassin,
Et je la remerciais de sa bonne piqûre
Elle avait mis sur moi le plus doux des grappins!
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème,
Rêvant à des étoiles aux yeux phosphorescents,
Parfois j’entrevoyais, couvert dans un drap blême,
Un mort, de tout à l’heure qu’ à la morgue on descend!
Eteignant tout à coup, la fièvre et mes délires
Le rythme lent des volets me fit revoir le jour,
Rutilant de ses feux, le soleil semblait dire :
Courage mon ami tu marcheras un jour!
J’ai vu des cieux couverts, des éclairs et des trombes
D’eau, en crues débordant du matin jusqu’au soir,
Puis, à des aubes claires, des envols de colombes,
Adoucissant mon mal, dans les jours les plus noirs!
J’ai vu des soleils bas aux lueurs fantastiques,
Illuminant mon lit de tons ocres ou violets,
Où s’ébattaient sans fin des hordes de moustiques,
Je priais l’infirmière de fermer les volets!
J’ai rêvé bien des nuits à des neiges éblouies,
Dont les baisers montaient vers moi avec lenteur,
Au printemps, à ces arbres aux sèves inouïes,
A l’éveil du matin par un beau coq chanteur!
J’ai souffert de longs mois, comme une vacherie
Des moments douloureux auxquels j’étais rétif,
Sans songer à des Dieux ou des Vierges Maries,
Je criais, puis tombais dans un sommeil poussif!
J’ai heurté savez-vous des barrières solides,
M’empêchant de tomber par mes gestes brutaux,
J’avais, tirant ma jambe un étrier perfide,
Entrave que l’on met aux vaches d’un troupeau!
J’ai supporté le mal, qui m’arrivait en masse,
J’avais l’impression d’être un homme lévitant,
Mais des pleurs de douleur envahissaient ma face,
Je tombais dans un gouffre, insondable pour longtemps!
J’ai vu des cieux nacrés, et des soleils de braise!
Où s’ébattaient des corbeaux en costume brun,
Des processions de blouses, et d’infirmières niaises,
Dispensant dans la chambre d’ineffables parfums!
J’aurais voulu crier mes cuisantes dérobades,
Sous l’infâme bistouri au terrible tranchant,
Des écumes de fleurs, comme il sied aux malades,
S’écoulaient de mes lèvres quand j’étais suffoquant!
Je souffrais le martyr, encagé comme un faune,
Les sanglots me berçaient tout comme un roulis doux,
Et parfois des fleurs bleues tapissaient le mur jaune,
Je voyais des Madones tomber à mes genoux!
Je n’étais pas de force à chercher des querelles,
Car tout auprès de moi dormait un moribond,
Je voyais sur son drap dépasser ses mains frêles,
J’aurais voulu m’enfuir du lit à reculons!
Or moi, comme perdu, dans les criques et les anses,
Jeté dans la fragrance des éthers d’hôpitaux ,
Moi dont l âme désolée était mise en balance ,
Je ployais sous les coups du sort comme un roseau!
Moi libre et fumant des brumes violettes,
Moi qui lorgnait les cieux tout flamboyant d’azur,
Je ne regrettais pas d’être nommé poète,
Dans ma chambre où dansait le soleil sur les murs
J’aurais voulu courir de mes jambes électriques,
Escorté par des spectres tout habillés de noir,
Quand les mois de juillet croulaient à coups de trique
Sur les troupeaux beuglants courant aux abreuvoirs;
Moi qui tremblait sans geindre dans un triste milieu,
Mon âme se retranchait en des remords épais,
J’aurais voulu revoir des parcelles de ciels bleus,
Abaissant mes barrières formant un parapet!
J’ai vu de bons docteurs, des infirmières graciles,
S’acharnant à calmer mes atroces douleurs,
C’est dans ces nuits sans fin que l’homme vaincu s’exile,
Espérant quelque vin redonnant des vigueurs!
C’est vrai, j’ai trop pleuré, les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce, et tout soleil amer,
Mais l’amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes!
Ô que ma joie éclate! Ô que j’aille à la mer!
Si je désire une eau potable on me la cache,
Mourant de soif, je rêve à des nuits douces et gaies,
Dans les bras de l’aimée, qui jamais ne me lâche,
Je voudrais lui offrir quelques brins de muguet!
Je ne suis plus baigné par des langueurs infâmes,
Je me lève tremblant, les jambes en coton,
Et je voudrais franchir gaiment les oriflammes,
Pour rejoindre ma belle, loin des qu’en-dira-t-on!!
Magnifique, quel talent, bonne journée à vous. Bises