J’ai rêvé à vous, îles improbables,
songeuses filles aux épaules de moire,
qu’un dieu prodigue une nuit fit pleuvoir,
comme des gouttes de mercure
dans les vapeurs du soir.
Vous voilà dispersées sur les eaux,
belles, ô mes diaphanes,
drapées dans vos limons de sable,
avec les cascades vertes de vos arbres
et vos phosphorescences de nacre.
Filles aux yeux d’eau, aux paupières d’écaille,
filles d’Eve aux pulpeuses moissons de mangues et de goyaves,
ô filles aux colliers d’ambre soyeuses comme des pétales,
oui, j’ai rêvé à vous.
Si lointaines vos rives, si lointain le souffle de vos palmes
et les flots rutilants se pressant à vos pieds,
nouant à vos chevilles des anneaux de corail.
J’ai rêvé, c’était un soir, et mon rêve m’emportait
et mon rêve glissait dans un sillage d’argent,
plus vibrant qu’une nave dans ses voilures de vent.
Et mon rêve m’emportait …
Je n’étais plus cet homme livré à ses contrastes,
coque légère, coque fragile, ô coque trop docile,
s’affrontant solitaire aux transes des courants,
sentant ployer sur elle l’ampleur de ses gréements.
Je n’étais plus cet homme vaincu par les hurlantes,
épuisant ses attentes au carrefour des brisants.
Un rêve s’est levé et mon cœur touché
le regarde monter dans l’éther étoilé,
comme un astre ;
je ne suis plus cet homme dérobé à ses larmes,
questionnant l’invisible et ne livrant passage
qu’à de vaines clartés, qu’à d’obscurs présages.
Mon cœur, rappelle-toi,
la beauté, la vigueur de tes jeunes saisons,
qu’à l’alouette chantait au-dessus des moissons,
que la source jaillissait dans un éclat de jaspe.
La maison se laurait de vignes et de lierre
et les roses trémières rosissaient son fronton.
Un enfant attendait au seuil de la porte.
Son regard s’étonnait
et la terre frissonnait comme l’âme de l’aimée
lorsqu’elle devine au loin le souffle de l’amant.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
(extraits du « Chant de Malabata » couronné par l’Académie française en 1986)
Un texte superbe… Bravo et merci pour ce partage.