Parce-que vieillir est une chance…
Et la liberté un devoir…
Fragments….
Maman,
Quand j’ai senti ce vent de pluie pénétrant le ciel,
Je me suis précipité tout en en haut du clocher qui dominait la baie.
Dans le silence de son vaste empire,
Le soleil,
Tendre et pénétrant,
Qui chaque soir
S’endort aux soupirs des cormorans,
Semblait livrer sa dernière bataille.
Je fixais les nuages qui se rapprochaient de la falaise
Et s’élevaient face aux vieux remparts.
Comme de minuscules fourmis,
Désordonnés au loin ,
J’apercevais les derniers marins
Qui remontaient leurs filets,
Les rares promeneurs qui s’agitaient
Plus vite que des pantins désarticulés.
Dans une symphonie de couleurs médiévales,
La peau du soleil d’ordinaire bronze doré aux teintes cuivrées,
Se recouvrait d’asphalte, de noix et de myrtilles.
Son regard injecté de rouge défiait
Dans une lumière électrique
Ces stratus et cumulus d’outre-tombe.
Ce soir la maman j’assistais aux noces du ciel et de la mer,
Et je savourais ce moment privilégié.
J’aurai voulu que mes yeux puissent devorer le ciel tout entier,
Que ma bouche croque ce savoureux biscuit de tempête .
Que mes mains d’argile
Touche cette mer saupoudrée
D’écume et de jade en fusion.
D’immenses vague en colère
Se fracassaient contre les rochers.
Rappelant à ma mémoire
Ce 6 juin 1944
Ce soir la maman, je redevenais un enfant ,
Ton enfant
Mais un enfant
En pleur,
Fragile,
Abandonné,
Terrorisé,
Prisonnier entre deux générations,
Qui par ce sale et triste mois d’été
Avait vu cette interminable grève gemissante avide de chair et de sang frais,
Cette plage grondante aux dantesques lueurs rougissantes
Jeter à mes pieds ces fragments de soldat démembrés,
Agonisants en râles, entre cris et douleurs décharnées.
Maman
J’aurais tellement voulu que tu sois la,
Si prés de moi ce matin la,
Que tu caches mes yeux d’enfants,
Que tu poses tes mains contre mes oreilles
Pour que je n’entende pas jusqu’à la fin de mes jours
Les bruits de ces mitraillettes qui percent les os et fendent les vies ,
Les bruits de ces obus qui explosent en cœur
Dans les cris et les pleurs et qui ne laissent derrière eux qu’une sale odeur de souffre, de puanteur et de chair brûlée.
Aujourd’hui encore viennent chaque nuit hanter dans ma mémoire ces terribles douleurs
Qui sans cesse me rappelent que non
Tu ne pouvais pas être la maman
Ce jour là
Ce matin là
Sur les plages d’Omaha
Parce-que du Vel d’ Hiv tu n’allais jamais rentrer…