Éternel Éphémère – Nathalie Villalba

 

Dans l’avion qui me ramène vers mon île natale de Fuerteventura, me voici en apesanteur, au-dessus d’un lit de coton épousant l’or d’un soleil radiant qui m’oblige à fermer les yeux ; sur l’écran noir de mes paupières closes, je me repasse le film de ces dernières heures de bonheur que nous venons de partager.

 J’emporte avec moi le souvenir aigre-doux de ces larmes brûlantes échappées sur tes joues blêmes, au moment des adieux ; alors je souris, émue. Je feuillette l’album des images souvenirs, je cherche ton regard bleu lagon, si doux, si limpide, dans lequel j’aimais si souvent me perdre, en savourant chaque seconde de cet amour unique et pur.

Déjà, lors de cette première rencontre qui fut la nôtre, ton regard magnifique m’avait transportée au point de faire surgir en moi des sentiments jamais soupçonnés. Puis, est apparue, telle une lame de fond, cette sensation absolue, que c’était Toi celui que j’avais tant cherché lors de tous mes périples à travers le monde. TOI que je n’attendais plus. Soudain, tu m’apparus comme ma complétude.

L’avion traverse quelques turbulences, je bascule dans le vide ; je tremble, j’ai froid. Alors que les glaçons s’entrechoquent, craquent dans mon verre de Martini, aussi blanc que mes joues sont blêmes, mon cœur se fige, prêt à se briser sous le poids de l’absence. Tandis que des gouttes d’eau ruissellent, depuis mes yeux à demi-clos, sur ces images de toi qui défilent inlassablement sur la toile de mes souvenirs, je m’accroche à cette bulle de bonheur, construite au hasard de la terrasse d’un café, en cette fin d’été. Je n’étais alors que de passage à Bourges, ce qui ne devait être qu’une brève escale, dura plus d’une saison, tous ces mois à nous aimer ne tiennent plus aujourd’hui que dans une poignée de secondes.

             Je pense à ces soirs de lune où nous allions de cafés en balades, de balades en merveilles et de merveilles en émoi, le long des berges de l’Auron, je revis nos premiers frissons aux effleurements de nos mains qui n’osaient pas encore, je revois nos sourires timides, je revis notre complicité naissante, nos fous rires sortis de l’enfance, nos maladresses aussi. Plus je m’enfonce dans les méandres de ma mémoire, plus mon corps se souvient de la chaleur de tes bras qui m’enserraient, sous ces ciels qu’embrasaient les feux d’artifice, lorsque nous étions enroulés dans la même couverture. Au fil de nos promenades, main dans la main, tu as su tisser, autour de nous, une toile d’amour invisible ; le vouvoiement que tu utilisais pour me parler et le temps que tu prenais pour me faire la cour donnaient à notre romance des airs d’autrefois. En m’enveloppant de ce romantisme à la française si particulier qui fait tant rêver les belles étrangères, tu as su révéler en moi ces sensations inavouées. Je n’oublierai jamais nos courses folles sous la pluie pour une volée de baisers tendres, pour quelques minutes intenses dérobées à la barbe du, temps entre deux trains, entre deux portes, entre deux inattendus.  Je n’oublierai pas non plus ton rire charmeur et tes pas de danse, sous ton grand parapluie, lorsque nous courions à en perdre haleine jusque sous le porche de la cathédrale Saint-Etienne où tu m’enlaçais et m’embrassais avec la fougue d’un jeune adolescent.  Puis, vint la magie de cet hiver tournoyant dans un ciel de Noël qui fit naître une cascade de dîners aux chandelles, dans un parfum de vin chaud, de roses et de mimosa.

Désormais plus  aucun Noël n’aura la même saveur, plus de grand guéridon en acajou planté au  beau milieu du salon, plus de grandes  bougies rouges et blanches haut perchées dans ce chandelier en fer forgé à six branches, plus de verres à pied taillés dans la dentelle avec leurs reflets étincelant dans la lumière chatoyante des soirs d’hiver, plus de petits plats dignes de la gastronomie française fondant sous le palais,  plus de  chants de Noël traditionnels, plus rien de ce  que nous prenions le temps de savourer,  le regard constellé de paillettes  nées de la gourmandise et du désir

Ce grand voyage, dans ce qui appartient à jamais au passé, me ramène au bain que tu me préparais, à ces bougies parfumées posées sur le bord de la baignoire, au petit verre de muscat que tu m’apportais tandis que je glissais dans la mousse odorante. Puis, un soir, tu m’entraînas jusque dans ta chambre, les mots devenus inutiles, avaient déserté pour laisser la place aux regards appuyés, intenses, aux gestes sans équivoque, aux baisers de soie et de velours, où nos langues se mêlaient jusqu’à ce que nous en perdions le souffle ; cette nuit féérique fut le début d’une éclatante partition à quatre mains.

Nous avons vécu notre idylle, au fil des samedis, au fil des dimanches qui défilaient inlassablement, les volets clos, à l’abri des regards, loin des bruits de la ville, dans ce temple de jade, d’or et de lumière que nous avions érigé, là où plus rien n’existait hormis nous.

 Je revois ta chemise blanche ouverte sur ton cou, je me souviens de ce parfum subtil de bergamote, à l’endroit même où la lumière libère quelques notes de sensualité sur ta peau laiteuse, j’aimais y déposer des baisers papillons comme dans un manège enchanté. Ce matin, les effluves de ton parfum ont imprégné mon corsage, je ne me lasse pas de le respirer, tu es tellement loin de moi et à la fois si présent encore.

            Tu me manques. Tandis que l’avion tire un trait funeste entre nous, je réalise combien je t’aime, toi l’amour de ma vie. Je ne te l’ai jamais dit, peut-être par pudeur, ou peut-être que je croyais, à tort, préserver ma liberté.

 Je ne puis revenir en arrière, j’ai décidé de rentrer chez moi, de retourner à la terre à laquelle j’appartiens, consciente d’être dorénavant prisonnière de mes amours insensés.  La destinée que j’ai choisie nous a séparés aussi brutalement que le couperet qui tombe.  Je réalise que j’ai baissé la garde sans m’en rendre compte, je ne voulais plus connaître de passion exaltée, je ne voulais plus être prise aux filets des sentiments qui brûlent et déchirent, je ne voulais plus que mon cœur saigne, je ne voulais pas d’un quotidien qui finit par avoir raison des mots doux et des gestes tendres. Pourtant je dois t’avouer qu’à tes côtés, j’ai trouvé un amour infini sans faille ; aujourd’hui ces chaînes qui me retiennent encore  à toi creusent des cicatrices invisibles. Nous ne nous sommes pas tout dit, nous ne nous sommes pas tout raconté, nous avons évité le passé, nous avons vécu au présent sans nous préoccuper du lendemain. Nous nous sommes inventé un univers idéal qui devait prendre fin à son apogée à moins de le voir s’étioler.

L’avion amorce sa descente, je referme mon album souvenir, j’ouvre les paupières, j’aperçois mon île, tout est dit ou presque.

Il faut bien reconnaître que si les mots n’expriment pas toujours tout, il n’en demeure pas moins que les silences, à leur tour, ne taisent pas toujours tout non plus.  Je sais mes regrets, je sais ta peine.

L’éphémère est éternel.

Lalie

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Nathalie Villalba

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Je suis enseignante dans un lycée en Centre Val de Loire. Attirée depuis l'enfance par les chansons à texte, la poésie et la littérature en général, j'ai à mon tour pris la plume. J'ai commencé par les rédactions à l'école, puis j'ai écrit mes premiers poèmes au collège. J'ai poursuivi ce long chemin solitaire jusqu'à mes premiers concours littéraires.
De concours en concours, de prix en prix notamment auprès d'Arts et Lettres de France, j'en suis arrivée à la publication dans les revues collectives d'abord, puis j'ai tenté ma chance auprès de différents éditeurs. C'est ainsi que mon premier recueil de poèmes, De tous mes voyages est paru aux éditions Ex Aequo, ont suivi : mon premier roman Cœurs de cendres, la nouvelle Un jour d'été chez Pierre Turcotte, un roman court Le Nettoyeur, publié en ligne par 999 éditions et enfin mon recueil de nouvelles Des jours et des Vies aux éditions Chloé des Lys.
Les voyages, les paysages et mes rencontres sont sources d'inspiration, j'ai toujours avec moi un carnet pour y coucher les mots, les idées ou bien encore les images qui jaillissent aux moments les plus inopportuns comme au milieu de la nuit, en voiture,

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Anne Cailloux
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25 juin 2024 20 h 01 min

Ce voyage à dut-être trés difficile .. trés beau.