Du blanc au marché noir – Jean-Marie Audrain

Souvent, je regrette l’époque où j’étais camelot.

Je vendais alors un produit sans pareil,

fruit de mon imagination créatrice et de ma fibre mercantile;

je l’avais baptisé “HOP”.

“Pourquoi HOP ?” me direz-vous ?

Parce que là où il y a une tâche tenace, frottez trois seconde avec mon produit

et hop!, il n’y a plus de tache, comme par enchantement.

Vous voyez qu’il porte bien son nom mon produit, non ?

Mon premier client s’appelait Jean-Paul SARTRE.

Il était venu me voir pour une histoire de mains sales,

car on lui avait parlé de moi à huis clos.

Mais comme il prétendait que HOP lui donnait la nausée,

on a eu des mots,

il a pris la mouche

et je n’ai plus jamais entendu parler de ce monsieur.

 

Toujours à mes débuts, je suis allé à Lourdes

pour proposer mon produit miracle au doyen de la basilique.

Celui-ci m’a répondu:  mon pauvre monsieur, même avec votre produit miracle, vous n’arriverez jamais à ôter la tâche originelle à nos pèlerins !”.

 

C’est alors que la Mafia a voulu me sponsoriser

en échange du blanchissement de l’argent de la drogue.

Bien sûr, j’ai refusé, car ensuite je ne pouvais  compter sur mon produit pour me blanchir ni la conscience ni le  casier judiciaire.

Devant travailler sans sponsor et sans filet,

il m’a fallu me montrer très convainquant

afin de vendre mon produit à prix d’or.

Je devais vendre du blanc sur des marchés…noirs de monde.

 

Après avoir rassemblé autour de mon stand un petit troupeau de badauds, j’ôtais devant eux mon maillot de corps, mon unique tenue de travail, et je l’enduisais copieusement d’encre de chine, de ketchup, de cambouis, de café, de sang, de brou de noix, et les passants se plaisaient à y rajouter ce qu’ils avaient sous la main.

Bref, j’y étalais ensuite une noisette de ma crème miracle,

je rinçais abondamment dans une cuvette et HOP, le maillot ressortait aussi blanc qu’au premier jour.

 

Une fois, une badaude au profil généreusement rebondi s’approcha de moi pour me demander: “Votre produit, est-ce qu’il dégraisse ?”.

Je lui répondis: “Ca c’est sûr qu’il dégraisse, mais laissez-moi vous conseiller, dans votre cas, d’en prendre deux tubes.

A consommer sans modération.

 Ce même jour, un badaud enchaîna:

“Si votre truc dégraisse, puis-je m’en servir comme shampooing ?”.

Je lui ai garanti qu’avec HOP, il n’aurait plus un cheveu gras.

Aussi, à peine le tube de HOP acheté, ce monsieur voulut faire un essai sur le champs et sa chevelure remplaça mon maillot pour la démonstration suivante.

Le résultat prouva que je n’avais pas menti.

Toutefois, devenu subitement chauve, ce monsieur n’est pas resté fidèle à ma clientèle.

La reconnaissance est un honnête sentiment qui se perd, hélas!

 

Mon affaire prospérait tranquillement.

Jusqu’au jour où un badaud éleva la voix au milieu de la foule:

“ Monsieur, je vous ai vu moult fois détacher l’indétachable

avec votre crème HOP,

et pourtant je ne crois toujours pas aux miracles;

d’où cette question que je vous pose tout de go :

pouvez-vous m’assurer que votre eau de rinçage,

d’où émane une étrange odeur, est bien absolument pure ?”.

Je répondis du tac au tac: “Tout ce qu’il y a de plus pure, mon cher monsieur :

Trichloréthylène pur, Eau de Javel pure et acétone pure.”

Le badaud répliqua: “Je me disais bien qu’il devait y avoir un truc…”

“Et vous l’avez découvert” lui répondis-je, “Félicitations, vous avez donc gagné…”

“J’ai gagné un tube de HOP ?” demanda fébrilement le malin badaud ?

“Bien mieux que cela” lui dis-je,

”je vous offre tout mon lot et le stand en prime.

Échangeons donc nos rôles à présent, si vous le voulez bien.”

 

Dès qu’il se mit à débiter mon boniment,

je me suis mis à hurler à tue tête:

“Au voleur, au voleur, sus à l’escroc, haro sur l’empoisonneur…”.

Aussitôt, la police arriva et embarqua

le bonhomme et sa camelote.

“Nous le recherchions depuis 10 ans” m’apprit le commissaire,

“sa tête était mise à prix. Vous aller toucher la récompense.”

 

“Oh, vous savez, j’ai appelé par pur désintéressement” lui répondis-je.

Il rétorqua: “À votre regard franc et loyal, on voit tout de suite

que vous êtes blanc comme neige dans cette affaire !”

 

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (519)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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4 Commentaires
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PHILIPPE X
PHILIPPE X
Invité
21 septembre 2020 6 h 49 min

Quel bagou qui illustre la prolixité des roi de la vente….le camelot et son baron…sacrés souvenirs

Grant Marielle
Invité
21 septembre 2020 4 h 45 min

Très drôle ce poème à l’allure chaplinesque! En voilà un qui s’est fait “entourlouper” par toi, Jean-Marie!