Combien de mains ai-je tenues, combien de yeux ai-je fermés ,combien de larmes ai-je versé.. – Anne Cailloux

Ils sont là dans mes souvenirs, des années passées à leurs côtés à les épauler, à les soigner, à les accompagner avec leurs familles jusqu’au bout de cet ultime voyage.

Ces visages, ces noms, ces sourires, ces familles, tout me revient en mémoire.

Des années après, je me souviens de ce qu’ils aimaient, de leurs couleurs préférées, du nom de leurs enfants, de leurs derniers départs.. Et de mes larmes.

Je travaille dans une unité fermée avec les malades ayant la maladie Alzheimer. Je me suis spécialisé dans cette pathologie, infirmière puis, art thérapeute.

Les nombreuses formations qui nous ont été offertes, nous ont permis de connaître, d’apprendre et de savoir gérer cette maladie avec des formateurs que l’on ne peut oublier, avec des expériences inattendues. S’asseoir dans un fauteuil roulant pousser trés vite par un soignant, avoir une certaine crainte quant à l’arrêt de ce fauteuil, se demandant s’il ne va pas entrer dans le mur, nous mettre un bandeau sur les yeux et nous faire marcher en aveugle, seule dans la rue!! Rester dans un fauteuil roulant 24h avec une protection, cela ne s’oublie pas.

Tous les soignants devraient avoir cette formation obligatoire.

Je ne suis pas conventionnelle, je suis très différente des autres, je ne suis pas le protocole à la lettre qui m’oblige à faire ceci ou cela, si je pense qu’un acte ou une parole ou le tutoiement peut apporter un plus, voir quelques sourires, alors je pense que cela doit être fait.

Avec eux les sentiments sont là, bien présent. Que vous soyez blanc, jaune, noir, vert, gros, petit, il n’y a que leurs ressentis qui comptent. Ils ont tant de perceptions que les autres personnes ne ressentent pas, malades ou pas d’ailleurs. Nous avons des leçons à prendre !

Il y a la confiance qu’ils témoignent envers les soignants, malgré les capacités physiques et intellectuelles qui s’éloignent dans un brouillard incessant, ils sont comme une barque attachée avec un fil si fin, que le courant finit un jour par le rompre.

Il faut être au jour le jour à leurs côtés, pour les comprendre, pour les connaître, pour les aimer et ainsi gagner cette confiance, sinon, ils se murent dans un silence et rien ne les en fera sortir.

Quand leurs souvenirs s’effacent, que les mots ne viennent plus, que les gestes ne suivent plus, il ne faut pas baisser les bras. Ce n’est pas parce qu’ils ne répondent pas, qu’ils ne comprennent plus ! Mais les connexions sont beaucoup plus difficiles, les mots deviennent compliqués, alors ils ne cherchent même plus à comprendre.

Nous sommes là pour les aider, raccourcir les phrases, ne dire que les mots essentiels, puis, associer les gestes aux mots, comme pour manger, porter la fourchette à leurs bouches. 

Il y à un langage qu’ils comprennent jusqu’au bout, c’est le langage non verbal. Le sourire, la douceur dans la voix, la main qui se fait caresse, le rire… Tant de portes qui s’ouvrent avec ses sésames, je vous l’affirme.

Il faut faire le lien avec les familles pour qu’ils continuent à vivre dans le respect.

Au fil du temps nous les comprenons, les familles, les amies nous demandent quelques fois mais que dit-il !!! Langage incompréhensible pour tous ! Mais pas pour nous, on déchiffre un regard, une attitude, une position. Il faut être soignant pour déchiffrer cela ! Les familles ne doivent pas culpabiliser, ils faut des années d’expérience, des formations avec des pros pour décoder.

Les capacités sont encore là quelques fois, bien cachées, si elles ne sont pas stimulées elles se perdent à jamais dans les dédales de leurs inconsciences.

j’ai appris dans ce métier, que toute porte doit être close, il faut fermer la boucle, ne pas dire au revoir, ou adieu et pire que tout ! C’est aussi valable dans la vie, une porte non fermée laisse passer les souvenirs, les regrets, les remords et bien d’autres choses de négatif, comme des attentes inutiles.

Tous les malades que j’ai aimés, je me devais de les préparer pour leurs derniers voyages. Ils n’étaient plus les mêmes qu’avant leurs maladies.

Nous  soignants, les connaissions mieux que qui conque! Moi, je savais s’ils étaient croyants ou pas, si fallait mettre un chapelet, je savais quels vêtements ils préféraient, et puis, il fallait qu’ils soient présentables pour les familles, Nous avons nos trucs de soignants pour les rendre beaux, le deuil est mieux perçu si leurs proches sont beaux.

Les faire partir avec dignité sans qu’ils soient seuls et quelques fois avec le sourire et souvent avec sérénité…. Alors j’ai atteins mon but….

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Anne Cailloux

Anne Cailloux (335)

Depuis ma naissance, je fus autodidacte et trop rêveuse.Spécialiste dans l'art thérapie et les maladies neurodégénératives, j’essaie de retenir le temps des autres et du mien.. Quelques diplômes, une passion pour l'art et les poètes. J'ose dormir avec Baudelaire.Je suis une obsédée textuelle . Je peins, je crée et maintenant j’écris. Je remets cent fois mon ouvrage pour me corriger. De quinze fautes par lignes je suis passée à quinze lignes pour une faute... Deux livres en préparation et peut-être un recueil de poèmes, si Dieu veut.Anne
Je suis une junky des mots..

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2 Commentaires
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Invité
25 août 2017 19 h 53 min

Très bel hommage, très émouvant !!!
Merci Anne, C’est très beau
Amitié
Chantal