La chaleur est intense. Le soleil à son zénith.
Je fais l’objet de tous les soins possibles dans ce milieu modeste auquel j’appartiens.
On me protège du chaud comme du froid, du mieux qu’on peut…
A la charge de mère-grand en ce moment le plus chaud d’une très chaude journée d’été et derrière des volets presque clos et une fenêtre discrètement entrebâillée il ne me faut pas transpirer. Elle sait le risque d’un refroidissement que la sueur mal contrôlée peut provoquer.
La hantise de la phtisie est toujours présente en ces années cinquante dans nos familles rurales où elle a longtemps sévi et fait tant de ravages.
J’en sais quelque chose…
Ma famille n’a pas été épargnée et j’en ai la trace avec cette bibliothèque interdite et toujours fermée héritée d’un grand oncle à coup sûr plus cultivé que la plupart de mes aïeux, curieux de tout, et particulièrement de cette maladie qui l’emporta. Il n’avait pas trente ans !
Voilà où j’en suis. Assis sur cette chaise de pied de lit à peine déplacée, le corps zébré par un rai de soleil effronté qui a su traverser tous les obstacles imaginés pour me protéger.
Ma tête est pleine de l’ignorance de la vie de cet oncle et cela me pèse et même m’obsède depuis que je sais ma positivité à ce test appelé cuti et pratiqué chaque année sur tout enfant scolarisé…
Vais-je bientôt mourir ? Déjà ! Pas vraiment prêt… Pas envie…
Et cette mouche qui me nargue au point de toujours revenir sur mon nez, qu’en sait-elle ?
L’attirais-je déjà ?
Le rai de soleil vit bien, lui. Je le sens arrogant. Sa trace se déplace sur mon corps affaibli. Quelle importance ai-je pour lui ? Aucune. Mais pour moi, si je meurs je perds tout y compris …Ma propre vie, même si…
Alors le parfum des roses de la treille voisine finit par occuper mon odorat épargné par mon permanent souci et je me laisse emporter par la somnolence d’une sieste ordinaire. Rêve semi- éveillé où je suis en bonne santé et jouis simplement de la protection imaginée par toi, ma grand-mère chérie, des excès de cet été peu coutumier…
Après tant d’années, je garde de ces moments de repos forcé le souvenir d’une irrémédiable perte puisque moments soustraits au plus beau de ces journées d’été que j’aimais tant et d’autant plus que le soleil, mon astre adoré, était là plus fort et plus puissant que jamais, là, juste derrière ce maudit volet ! Je savais aussi qu’après le calme du plein midi pouvant jusqu’à me faire entrevoir la félicité, ma libération vers quinze heures serait sûrement contrariée par une petite brise venue de la mer, si proche ! Mais qu’y faire ?
Très beau texte Rémy. Les souvenirs de l’enfant sont merveilleusement rendus. J’ai grandi moi aussi dans les années 50 et on a oublié que dans ces années là certains petits compagnons de classe tombaient le matin foudroyés par la polio ou partaient au sanatorium pour une cuti positive.