La Dispute des Rouliers – Christian Satgé

Petite fable affable

Un char, une charrette et un charreton,
Sur un antique chemin, haussaient le ton.
Aucun ne voulait céder le pas à l’autre
Quoique ne pouvant passer par là de front.

« Je suis le plus utile, bande d’apôtres,
Dit le char, ceci dit sans vous faire affront.
Mes quatre roues et mon lourd fardeau vous prouvent
Ma puissance et mon rôle. Je vais premier ! »
Il fonce. À la première ornière qu’il trouve,
Il s’embourbe. Le voilà à jérémier
Ou, même, à jurer sur le saint nom de Dieu.
Et, bien sûr, un grand rire succède à l’ire
Chez ses deux comparses, cela va sans dire.

Puis, avec des larmes de joie plein l’essieu,
La charrette affirma : « Pour mes faix et gestes,
Mes deux roues passant par tout chemin sont prestes ;
Même par le trou de souris que ce char
Me laisse ici ! » Elle force le passage
Et verse sur le bas côté. Revanchard,
L’empêtré partit d’un fou rire sauvage.
« Les vantards, Ma Belle, sont toujours punis !
– Nous sommes donc, à plus d’un titre, réunis ! »

Le charreton, seul, se réjouit et se gausse :
Lui, sans ridelle, avec l’âne pour tracteur
Et des ballots pour charge est, dans toute ferme,
La risée de tous. Il n’a que détracteurs.
Il voit, dans cette situation, le terme
De son travail subalterne et trop moqué.
Avec un rire discourtois, il contourne
Les deux autres par les haies et le bosquet
Protégeant ce chemin encombré. Il tourne
L’obstacle donc. Mais le voilà prisonnier
Des branches du taillis et de ses racines.

Il peste et râle pendant que l’assassinent,
De mots peu doux, les deux autres. Or survient
Un vieil homme poussant son humble brouette.
Celle-ci, ayant le sens commun, parvient
À jouer, dans l’embarras, de sa rouette :
« Je n’suis rien, porte peu, mais rien ne m’arrête !
Sans retard ni vanterie, fais-toi bosseur,
Car vient assez vite, et sans complaisance,
Le jour où se voient tes insuffisances
Assez pour provoquer la joie des gausseurs ! »

© Christian Satgé – décembre 2014

Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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5 Commentaires
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Invité
14 mai 2018 1 h 10 min

Merci Christian j’aime beaucoup vos fables enrichissantes, bravo
Mes amitiés
Fattoum.

Anne Cailloux
Membre
13 mai 2018 18 h 04 min

Belle morale que celle là !
de bien belles vérités.
Anne