Le Roi s’est endormi sur le trône ambre
Du lourd sommeil du juste et du guerrier ;
Il a vaincu le mal, l’a renvoyé.
La Force est dans son coeur et dans ses membres.
Au jour levé, nous avons entendu
Partout en ville, oraisons, chants, poèmes,
Et avons vu, portant des hélianthèmes,
Tant de beautés, toutes les bras tendus.
Un parfum d’innocence, une harmonie
emplissait l’univers tel un écho.
Nous fêtions en un choeur sous nos panchos
Celui qui nous sauva de l’Agonie.
Nous étions beaux, guidés comme un seul homme
Par la lumière infinie du soleil.
Nous allions tous, tous unis et pareils.
Ô jour divin parmi ceux que l’on nomme !
Devant tous s’éveillait en renaissance
La verdure et la vie. Là, les jaguars
en embuscade, prêts. Là, dans un dard,
C’est la Mort et l’Éclair en une essence.
Mais à travers la jungle, aucun soupir,
nul grondement ou cri, juste notre hymne,
Trop énorme et puissant pour se tarir,
Chanson dont tous les mots sont une rime.
“Vive le Roi à l’âme alerte et vive.
Père à l’amour immense, aux gestes bons
Et juge clairvoyant. À chaque mont
Nous chanterons ta gloire ainsi qu’aux rives.
Jamais ne s’éteindra le Roi des astres
car les dieux l’ont élu pour messager,
Pour seigneur, pour guider, prudent berger,
Son peuple fatigué de ces désastres
Que la Guerre, la Faim, la Maladie
Ont grandement semé. Séchons nos yeux,
Un jour nouveau s’en vient en mélodie
Portée par nos chanson et l’Or des cieux.”
Bientôt apparaissait, comme un mirage,
Le palais du seigneur. Quelle vision
Que ce monument blanc, dans l’horizon
Verdoyant de la jungle aux tons d’orage.
Mais à peine arrivés, il vient un garde ;
On lit sur lui des perles de sueurs
“Où sont le peuple inca et les lueurs ?
Dis, nous sommes pressés, l’heure tarde !
—Aucune heure ne vaut, arrière, frêres.
— Que dis-tu ? Laisse nous. —Je ne peux pas.
—Explique nous alors. — l’Empereur père
Est endormi. N’avancez pas d’un pas.”
Le garde repartit. Quelle tonnerre !
Nous voilà de nouveau dans la forêt.
Nos chants s’étaient éteints comme un secret
Emportés par le vent vers d’autres terres.
Mais moi, jeune en ce temps et intrépide,
Je désirais Le voir, lui, l’Empereur.
Je plongeais dans la nuit et la profondeur
Des ténèbres. J’allais d’un pas rapide.
Rien n’éclairait le chemin de la ville.
La nuit couvrait le regard des soldats
Et un râle bestial, bien loin de là,
Berçait les environs d’un brame hostile.
Je réussis enfin. Passé l’entrée
Je glisse tel un serpent dans le palais
Mais je me perds dans ces couloirs de jais.
Providence ! voilà la chambre ocrée !
Il semblait endormi sur le trône ambre
Du sommeil éternel qu’ont les défunts ;
Le mal l’avait vaincu et sur son sein
Le bleu de son manteau avait une ombre.
G Aatira