Les filles des pélerinages – Louise – Autobio Tome XXXII – Jean-Marie Audrain

XXXII – Les filles des pélerinages – Louise

Il me fallu plusieurs années pour panser et compenser la blessure laissée par Catherine. Je vous conterai par le menu détail dans un prochain article ces quatre années de vie de moine.

Je ne sais pourquoi, mais je ne voulais pas rester sur ma fin (ma faim ou ma soif d’amour?) au sujet des pèlerinages d’étudiants et comme j’en avais gardé l’âme, je me suis inscrit au pèlerinage international des étudiants qui était jumelé avec le CEP Sorbonne à titre exceptionnel. Cette année là, j’ai dû aller chercher en son local les carnets de chants multilingues pour les apporter dans le hall des départs à la gare Montparnasse. Une jeune étudiante en avait également pris un caisse et me demanda si elle pouvait me suivre car elle ne savait pas comment aller à pied à la gare du départ. Nous avons donc marché ensemble sur les trottoirs du boulevard Saint Michel et de la rue de Renne après avoir traversé le jardin du Luxembourg. Cette étudiante, plus jeune que moi de quelques années, était une écossaise étudiant en Allemagne et désirant connaître un peu la France et les français. Elle me déclina tout ce suite ce qu’elle aimait déjà dans notre pays et tout ce qu’elle souhaitait découvrir sans tarder.

Elle me demanda si je connaissais d’autres pèlerinages dans d’autres régions. Je lui ai parlé de ceux de Paray le Monial et d’Ars, basilique de mon saint patron, auxquels j’avais déjà participé comptant y retourner cet été. Ses yeux s’en sont immédiatement écarquillés et elle s’est exclamée : « J’irai avec toi ». Durant tout le pèlerinage nos n’avons cessé de faire des projets ensemble, entre deux chants en anglais ou en allemand. Arrivés à Chartres après la traditionnelle nuit dans la grange dans un sac partagé, nous avions l’un et l’autre l’impression de nous connaître depuis toujours. Irradiait de son jeune et beau minois un je ne sais quoi presque rien qui me faisait penser à Romy Schneider. En marchant, elle osait clamer tout fort qu’elle aimait la poésie et l’humour d’Audrrrrrrrain (elle s’amusait à m’appeler par mon nom de famille pour me titiller tout en étirant le r). De retour sur Paris, elle savait déjà ce tout que j’allais dire et finissait même mes phrases. Elle me prétendait déjà savoir que nous commencions sur les chapeaux de roue une belle et longue histoire d’amour. Elle parlait couramment plusieurs langues, mais son français était absolument impeccable avec un accent écossais à peine perceptible.

Je venais de perdre ma grand-mère maternelle qui avait rejoint au ciel ma grand-mère paternelle. Leurs deux appartements étaient libres et vides, face à face au rez-de-chaussée de l’escalier de mes parents. N’ayant pas où dormir, Louise me suivit jusque dans celui de ma grand-mère maternelle dans lequel j’avais installé des matelas mousse car je dépannais souvent des amis aillant raté le dernier RER. Le lendemain, je dus me résoudre à la raccompagner à la gare de l’est car ses cours de Langues Etrangères Appliquées allaient reprendre à Berlin. Elle me promit de me téléphoner aussi souvent que possible. Effectivement, elle m’appelait souvent le soir, mais sa voix était couverte par le vacarme du bar ou de la boîte de laquelle elle m’appelait. Elle voulait partager la vie des jeunes allemands et les suivait partout où ils allaient. Elle ne me cacha pas qu’il lui devenait de plus difficile de repousser les avances de ces jeune de plus en plus entreprenants de Guiness en Black Baron servis par demi-litres.

Enfin arriva le dernier jour de son cursus et Louise me revint via sa gare habituelle où je me suis empressé de la retrouver et de l’enlacer. Durant une semaine nous avons peaufiné nos plans de pèlerinages en y ajoutant une Mariapolis en Savoie avec les Focolari et une retraite chez les Petits gris, les frères de saint Jean, communauté où l’un de mes amis de collège était moine et qui m’y avait invité. En bonus nous avions même programmé une petite semaine pour rejoindre mes amis du courant d’amitié Entre Jeunes au pays de Descartes, à La flèche dans la Sarthe.

A la Mariapolis, nous campions sous mon éternelle canadienne. On semblait visiblement très soudé car plusieurs fois on nous demanda ce que l’on pourrait dire de ce qui nous unit, et nous répondions en coeur : le béton. Oui c’était vraiment du béton armé sans l’ombre d’une fissure. D’emblée j’étais réellement entrée dans une relation en développement durable et nous essayons de faire des projets à plus en plus longs termes au-delà de ce chapelet de pèlerinage.

Après la Savoie, nous sommes remontés en Saone et Loire dans le sanctuaire bourguignon de Paray le Monial. Un train nous y a déposés deux jours avant l’ouverture du rassemblement organisé par la communauté de l’Emmanuel. Devant la basilique se tenait une sorte de roulotte attendant les premières inscriptions. Juste devant, un homme balayait les graviers et ramassait tous les détritus de les passants laissaient tomber par terre. En lui adressant la paroles nous avons appris qu’il se prénommait Roger, qu’il était un chrétien du voyage, et qu’on lui avait refusé l’inscription au rassemblement car il n’avait pas la somme nécessaire. Pour l’obtenir, il s’engagea à nettoyer la ville durant les 48 heures précédant l’ouverture de ce que l’Emmanuel appelait la session.

Lorsque celle-ci s’ouvrit, Louise découvrit sous un immense chapiteau une foule chantant des chants éclatants de joie en levant les mains au ciel. S’ensuivirent messe, témoignages et directives sur la conduite à tenir. Le premier repas pouvait se tirer du sac dans la petite forêt jouxtant le chapiteau. A notre droite, nous vîmes quatre jeunes du service d’ordre de la communauté se saisir de Roger, le secouer, lui vider les poches de son argent, le frapper et le jeter loin au sol comme un rat mort avec un dernier coup de pied. Ils formèrent un cercle et se mire à chanter « Merci Seigneur d’avoir fait de nous un instrument de justice ». Louise s’est levée voulant aller leur casser la figure tant, elle était comme moi, révulsée, mais je l’en ai dissuadé car ces jeunes risquaient à nouveau de « faire justice » à notre encontre. Le soir, enseignement de l’un des fondateurs de l’Emmanuel, résumons son identité en Charly. Après le dernier chant, celui-ci a demandé aux jeunes de rentrer directement dans le box de leur genre : un bâtiment pour les garçons, un autre pour les filles, sans commettre la faute de s’arrêter dans l’un des nombreux pubs ou cafés. Voulant jeter un œil sur lesdits pubs qui attiraient Louise, nous sommes entrés dans l’un d’entre eux pour en ressortir aussitôt car Charly nous avait suivi. Nous repartîmes vers nos hébergements, mais ce monsieur nous a rejoint et obligé à nous lâcher la main en hurlant « Mais mariez-vous si vous voulez coucher ensemble » ; je lui rétorquais illico que, pour nous le mariage, n’était pas un pacte de droit de cuissage et que nous ne faisions rien de mal. De fait, tacitement, nous vivions une relation d’une puissance amoureuse inouïe, mais dans la plus totale chasteté. Attendant au minimum d’être à quelques marches de l’église qui unirait nos vies. C’est non sans impatience que nous avons pris le premier train pour Ars.

Hors ce que je vous ai narré, Louise aimait les rassemblements de ce que l’on nomme le renouveau charismatique ; Arrivé à Ars, accueil on ne peut plus fraternel par la communauté de l’Agneau immolé et du lion de Juda (qui deviendra communauté des béatitudes) et par quelques membres de celle du Chemin Neuf. Durant une semaine, nous avons découvert la liberté de l’Esprit saint qui faisait grandement défaut à Paray le Monial. Nous fumes témoins de nombreuses conversions et guérisons. L’un des organisateurs, Philippe, avait installé dans la basilique souterraine une jauge à deux colonnes : le montant dépensé en vert et le total des dons en rouge. Tous les jours, ils nous rappelait au micro : « vous ne vous devez-rien. Donnez à la mesure de ce que vous avez reçu, le Seigneur ajustera les deux colonnes ». Comme à la Mariapolis et à Paray le Monial, c’est moi qui ai laissé un « don » pour couvrir la part de Louise. Ce que je ferai d’ailleurs à nouveau à la communauté saint Jean. Louise attendait, semaine après semaine, l’argent que sa mère devait lui envoyer et quand elle l’appelait pour lui rappeler sa promesse d’aide financière sa réponse alternait entre les « bientôt » et les « plus tard ».

Nous achevèrent nos deux mois de vacances en nous dirigeant vers l’abbaye de Rimont dans l’Ariège. En marchant en direction de la gare, Louise eut l’idée de me faire économiser deux billets de train se s’essaya à faire du stop en tête de la nationale descendant vers le sud. Je me tenais en retrait avec nos sacs à dos pour ne pas faire d’ombre à ma Romy Schneider qui n’eut que le choix de l’auto qui nous embarquerait vers Rimont tant les conducteurs devenaient miraculeusement des stoppeurs en l’apercevant le pouce levé avec son sourie angélique. Nous y fîmes une véritable retraite de couple accompagnés par un moine qui nous avait donné comme programme le livre Suivre l’Agneau partout où il va. Je n’avais jamais donné de surnom à Louise, mais à partir de jour elle devint ma petite brebis bien aimée. Après cette semaine monastique, nous sautâmes dans le premier train pour rentrer à Antony. Sitôt arrivés, elle me pressa d’aller faire développer toutes mes pellicules de photos de vacances en couleur et en noir et blanc me demandant même de les lui faire tirer en double afin de montrer ces précieux souvenirs à ses parents.

Le lendemain matin, sans attendre les tirages, nous sommes montés dans mon auto et nous sommes partis en flèche retrouver mes amis dans la Sarthe. Par manque de lits, c’était couchage très fraternel à 4 par lits. Pour me taquiner, mon amie Clémence se glissait toujours en Louise et moi. C’est pour dire que c’était vraiment des nuitées innocentes.

Nous revinrent sur Antony pour aussitôt aller chercher les photos tant attendues. Louise les commenta une par une tout, en mettant de coté le lot qu’elle avait appelé de ses vœux. Puis vint la dernière nuit partagée. A deux seulement pour changer d’environnement et retrouver un semblant d’intimité. Je sentais Louise se blottir contre moi plus fort que jamais, peut-être pour solliciter un petit cadeau d’adieu. Elle ignorait ou oubliait le dicton français : Moine refroidi craint même chatte chaude.

Le lendemain en faisant son inventaire, elle se rendit compte qu’il lui fallait une valise de plus pour y caser tous les souvenirs qu’elle m’avait demandé de lui « avancer ». Je suis allé lui en acheter une chez le maroquinier du coin le temps qu’elle finisse de boucler ses autres bagages. Avant que nous partîmes pour la gare avec 2 valises dans chaque mains, elle répondit à ma demande de me laisser son adresse postale en Ecosse à la suite de quoi elle ajouta : Ne t’en fait pas, ma maman va te régler ma dette dès mon arrivée. Elle me dit avoir calculé qu’elle s’élevait à 3000 francs. J’ai accepté d’arrondir à cette somme car le plaisir de l’avoir eu à mes cotés n’avait pas de prix.

Dernières accolades et embrassades à la gare du nord où elle devait prendre son Eurostar. Louise promit de m’appeler en arrivant et sitôt, qu’elle aurait pu parler à ses parents, me confirmer qu’elle terminerait bien ses études à la Sorbonne comme elle en avait déjà l’intention avant même d’avoir le désir de vivre avec moi.

Une semaine s’écoula. Puis tout un long mois. Toujours pas de nouvelles de Louise et elle ne m’avait pas donné son numéro de téléphone. Il ne me restait plus qu’à lui écrire en recopiant attentivement l’adresse qu’elle m’avait laissée. Un mois plus tard, la lettre me revint avec ces mentions, en anglais et en français : Retour à l’envoyeur. N’habite pas à l’adresse indiquée. Je n’ai jamais reçu la moindre nouvelle de ma petite brebis vraisemblablement égarée comme ma lettre, pas plus que de virement bancaire de sa maman. Je crois devoir conclure qu’à la faveur de Platon et du fameux dicton, j’ai évité d’y laisser un bras pour payer une pension alimentaire. Je me suis juré de ne jamais plus jamais aller voir aucun James Bond avec Sean Connery et de ne plus jamais manger de petits pois écossés.

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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13 Commentaires
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Grant Marielle
Invité
7 décembre 2020 7 h 33 min

Cher Jean-Marie, cette Louise au coeur bien superficiel à perdu sa chance de vivre le véritable amour avec toi, un être de profondeur et d’intégrité !

Hervé Outil
Membre
6 décembre 2020 22 h 30 min

Voilà un roman de vie bien intéressant prouvant qu’on ne peut faire confiance qu’à quelques personnes bien cibles.

Richard Ratelle
Richard Ratelle
Invité
6 décembre 2020 21 h 46 min

L’ouverture de ton âme au travers de ces textes est tellement authentiques. Merci Pour ce beau partage de ton voyage de vie.

Christelle Morize
Christelle Morize
Invité
6 décembre 2020 20 h 53 min

Le monde est malheureusement peuplé de personnes sans scrupules.
Il faut tenter de garder le meilleur et oublier le reste.

Anne-Marie
Anne-Marie
Invité
6 décembre 2020 20 h 34 min

Génial, le jeu de mots de la fin. Pauvre et innocent Sean Connery.
Sacré garce menteuse et même pas un remerciement. Ce n’était pas une brebis mais une renarde. Triste expérience pour un jeune homme bon, droit, idéaliste et croyant en lamour vrai et sincère. Elle ne te méritait pas. S’en est-elle seulement rendue compte!!!!!!!

Hélène Marie
Hélène Marie
Invité
6 décembre 2020 20 h 31 min

La situation ne s’arrange pas et irait même en s’aggravant. Je n’ose imaginer le prochain tome de ce fait…

weippert brigitte
weippert brigitte
Invité
6 décembre 2020 19 h 51 min

Je découvre (encore!) vos qualités, vos dons…Je prendrai le tps de lire votre dernier envoi, car le texte est long….????