L’épi et le coquelicot – Christian Satgé

Petite fable affable

Un épi de blé dodeline

De la tête, fort mécontent :

En robe d’un rouge éclatant,

Une fleur, petite orpheline ,

S’est invitée, là, dans son champ,

Celui où les siens se serrent.

Il l’interpelle, l’air méchant :

« Va pousser plus loin, Corsaire !

De rage je devrais rugir

Et toi, de honte, plus rougir :

Dénaturant le bel ensemble

Que nous formons, tous les miens

Et moi-même, tu me sembles

Déplacé avec ton air bohémien.

Retourne dans ton monde,

Ici tu ne fait que tâcher

Notre unité noble et féconde :

“Pour vivre heureux, vivons cachés”* !

Mais l’autre écarlate s’entête :

Plutôt que de rester discret,

Se haussant du col et du crêt,

Il plonge ses rougeurs, esthète,

Dans les doux filets du soleil,

À contre-courant de cette onde,

Uniforme jusqu’au sommeil,

Que font les épis à la ronde.

« Apprends donc à courber le dos

Sous le vent, infernal badaud,

Et aussi à baisser la tête

Sous la pluie,… comme nous tous.

Profite de nos tête-à-têtes

Pour t’instruire, pagaillous !

– J’ai compris ce que tu réclames. »

Fait le pavot, l’air très touché.

Et puis, dans un rire, il s’exclame :

« Pour vivre heureux,… vivons couchés ! »

Le coquelicot, perfide, ajoute :

« Riche de grains, tu vis vieux.

Plus que moi… Mais pas mieux !

Riche de riens, somme toute,

Qu’aurais-je, ici-bas, contrefait ?

Vivant au vent mes vœux et rêves,

Alors que toi t’auras fait

Ce qu’on attendait, mais sans trêve

Et sans jamais en profiter,

T’oubliant à tant t’agiter.

De mon sang, va me naître

De beaux fils dont l’ambition

Sera de  fuir le paraître

Social, les conventions,…

Quoi qu’en disent même les nôtres,

Pour vivre heureux, vivons fauchés,

Loin des désirs de tous ces autres

Qui te font vivre à l’ébauchée ! »

* Jean-Pierre Claris de Florian, Le Grillon in Fables, Livre II, 15 (1792).

© Christian Satgé – septembre 2014

Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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5 Commentaires
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Anne Cailloux
Membre
15 avril 2018 21 h 30 min

Humm, j’adoreeeee.
Très tendre, la nature se vête de sentiments ,magnifique.
Merci pour vos mots.
@nne

Plume de Poète
Administrateur
17 février 2017 7 h 47 min

Merci pour cette belle introduction Christian !
Les fables se font rares sur le site et nous l’apprécions beaucoup…
Nous avons hâte de découvrir vos autres textes…
N’oubliez pas d’ajouter votre prénom et nom à la suite du titre de votre texte afin que les visiteurs, membres et lecteurs puissent mieux vous apprécier.
Vous pouvez aussi ajouter votre photo ou avatar représentatif sur votre profil et votre biographie ou présentation auteur qui seront affichées sous tous les textes que vous publiez sur le site dans la rubrique “A propos de l’auteur”.
Je reste à votre écoute si besoin…
Bien à vous,
Alain