La mer rend toujours les corps la nuit – Claire FASCE-DALMAS

Vous le saviez, vous, que la mer ne rend les corps que la nuit ? Marthe, oui.

Elle aime la mer, Marthe. Ça lui rappelle sa jeunesse. Ses quarante ans, ou peut-être trente, ou peut-être vingt. Allez savoir ? Ça lui rappelle hier, en tout cas. Quand elle nageait et se laissait emporter par les lentes ondulations qui effleurent la surface et font frissonner.

C’est si beau, la mer ! Avec ses vagues qui enflent, reculent, enflent encore, jusqu’à vous submerger, qui se brisent soudain en gerbes d’écume sur les rochers, puis viennent lentement échouer et mourir sur la plage.

Mais vous ne connaissez pas Marthe, peut-être ? Elle a quatre-vingt-dix-neuf ans, Marthe ! Mais elle ne le sait pas. Elle pense qu’elle a quarante ans, ou peut-être trente, ou vingt, qui sait ? Ce qu’elle sait, c’est qu’elle aime la mer. Ça lui rappelle l’amour. 

Marthe habite une grande maison pas loin de la mer. Elle n’y vit pas seule, non ! Il y a du monde autour d’elle ! Les infirmières, le médecin, la gentille dame à l’accueil, celle qui porte les repas, celle qui fait le ménage dans sa chambre et la houspille parce qu’elle reste là à rêvasser face à la mer. Et il y a tous les autres. Tous ces vieux, comme elle les appelle. Comme si elle n’était pas vieille, elle ! Non, Marthe n’est pas vieille. On n’est pas vieux quand on a quarante ans, ou trente, ou peut-être vingt. Qu’est-ce qu’elle en sait ? Elle sait juste qu’elle n’est pas vieille. Et puis, il y a moi. Sauf que moi, je ne compte pas beaucoup pour Marthe. Ça fait si longtemps que je vis avec elle ! Elle me connaît par cœur, maintenant ! Moi ? Je suis le temps. Je suis le passé surtout, parfois le présent, mais jamais le futur. Marthe s’en moque bien du futur ! Elle l’a trop souvent traversé sans jamais pouvoir le retenir.

Aujourd’hui, du haut de ses vingt, trente ou quarante ans — elle ne sait toujours pas — Marthe marche sur la plage. Ses pieds nus s’enfoncent dans le sable mouillé. Elle a rendez-vous avec la mer. La mer, c’est l’amour. Alors, Marthe a rendez-vous avec l’amour. Avec le corps puissant de l’autre. Celui qui vivait de la mer. Celui que je lui ai pris autrefois et que les flots ont rendu une nuit. Celui qui l’emmenait dans les lentes ondulations qui effleuraient la surface de son corps et la faisaient frissonner, dans les vagues qui enflaient, reculaient, enflaient encore, jusqu’à la submerger toute entière, puis se brisaient soudain en écume sauvage avant de s’échouer tout en souplesse au creux de son âme.

Debout là, à regarder la mer, Marthe sourit. Et son sourire s’envole pour se perdre sur la plage, les rochers, dans les vagues qui ondulent, jusqu’à se noyer dans l’amour, dans la mer et l’éternité.

Car Marthe a rendez-vous avec l’éternité. Elle s’enfonce dans la mer, se laisse entraîner par les ondulations, par les vagues qui roulent, enflent, la secouent et se brisent. Marthe s’endort dans les bras de la mer, de l’amour, de la vie, de la mort, dans mes bras pour toujours.

C’est bête de mourir quand on a quarante ans, ou trente, ou vingt. C’est bête ! Mais Marthe ne le sait pas. Elle sait juste que, cette nuit, la mer rendra son corps. Celui de ses quatre-vingt-dix-neuf ans. Pas celui qu’elle pense avoir. Non ! Celui-là continuera à vivre parmi les vagues, à onduler, frissonner, rouler, enfler, reculer, enfler encore, se briser et s’échouer en douceur dans l’âme de Marthe. Et il en sera ainsi jusqu’à la fin de mes jours, la fin du temps, donc.Entete flyer 2

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Claire FASCE-DALMAS

Claire FASCE-DALMAS (29)

Mère de famille de quatre enfants et grand-mère, passionnée de lecture et d’écriture depuis mon enfance, je vis à Marseille depuis toujours.
Souffrant d’une surdité partielle et cataloguée comme « nulle en Français » par mes enseignants, tout ce que j’écris depuis l’âge de dix ans finit au panier. Ce n’est qu’à l’âge de dix-huit ans, à la faveur de deux rencontres simultanées, celles de Francis Lalanne, alors âgé de quinze ans, et de Jean-Claude Gianadda, chanteur religieux, que je renoue avec l’écriture et décide de conserver mes écrits. Au fil des jours et des évènements de ma vie, poèmes et contes s’entassent dans mes tiroirs et en fichiers sur mon ordinateur.
Aujourd’hui, entre mes occupations familiales et mon bénévolat dans une association sportive, je consacre mon temps libre à l’écriture de romans.
http://clairefasce-dalmas4.wix.com/polar

1 réflexion au sujet de « La mer rend toujours les corps la nuit – Claire FASCE-DALMAS »

  1. Très belles introductions et merci pour tous les partages publiés sur le site.
    Félicitations pour tous vos ouvrages et bonne continuation !
    Je vous rappelle toutefois que chaque auteur peut publié une seule fois par jour afin d’éviter la saturation des bases de données et que chacun puisse publier quotidiennement.
    Merci d’y penser et au plaisir de découvrir vos oeuvres.
    Bien à vous,
    Alain

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