Petite fable affable Non loin de ces hauts pâturages sans ombrage
Que l’on nomme, par ici estives, sévit
Une martre, genre « T’as vu, t’as pris », ramage
Aussi sombre que l’âme, débordant d’envies.
Grosse à lard mais jamais lasse de ne manquer
De rien, elle croquait de tout. Se planquer
Pour échapper à ses dents ou fuir ses griffes
Était un sport de combat, une activité
À plein temps car, hélas, notre agile escogriffe
Était aussi silencieuse que futée,
Véritable Apache lâché dans la cité. Dans un creux faisant le poste frontière entre
Soulane et ombrée, un vert bosquet de feuillus
L’avait attirée : les poètes et les chantres
Ailés s’y regroupaient et, joyeux chahut,
Y mélopaient fort, y trillaient haut, y chantaient,
En amical concours de tout été étais.
Ainsi, notre martre, au son, parcourait les chênes
Pour faire bombance de ces zélés chanteurs,
Grimpait aux hêtres et, bien pire, hantait les frênes
Où ces tous petits bavards au chant enchanteur,
Au goût de « Revenez-y » pour le prédateur
Nichaient et causaient pour ravir tout amateur. | Mais ce ‘est pas parce qu’on est oiseau en ce monde
Que l’on est sot et vite on apprit, par bonheur,
À se taire quand l’ombre de la martre immonde
Se profile en la ramée, jouant au dîneur
Affamé plus qu’au mélomane gourmet.
Or, un jour un gros bouvreuil, n’en pouvant mais
De savoir que les meilleurs virtuoses et prodiges
Se réunissaient en ce lieu veut concourir
Pour prouver à ce félibrige de prestige
Qu’il n’est meilleur que lui. Et sans discourir.
Son concerto, nouveau, fait la martre accourir. Le bouvreuil est seul à ne pas voir que se taisent,
Un à un, tous les autres, alors que l’animal
Gourmand, attiré, s’avance tout à son aise,
De branche en branche arrive, sans peur et sans mal.
Au passage, fut croqué comme une bergère
Par le loup qui veut résister à l’étrangère
Intrusion de ce gros piaf inconnu
– La réputation du lieu, Oiseaux, Oiselles,
Est en jeu ! – sont happés à peine reconnus :
Rouge-gorge, mésanges encore demoiselles,
Sittelles, étourneaux, verdiers et leurs Gisèle,… Le silence aidant, notre bouvreuil croit avoir
Gagné la partie. Grisé, il n’entend la martre
Qui achève de faire pitance, bavoir
Sali et jabot repu, avec ce fol bellâtre
Qui oublia l’adage des feuillages, un jour,
Celui que l’on apprend au nid de toujours,
Qui, jusqu’au faîte de tous les arbres, fait bruire
Tous les ramages, même chez les damoiseaux :
« Quoi que tu fasses évite, cervelle d’oiseau,
Qu’aux autres cela ne vienne à nuire
Et, qu’en sus, cela puisse te détruire ! » . © Christian Satgé – mars 2018 |