Un bruit, juste un murmure au loin… Est-ce moi qui m’éloigne de la ville ou c’est elle qui me quitte ? Loin derrière moi un pont, d’où je ne distingue plus qu’une vague silhouette vaporeuse, disparaît enveloppé dans son cocon gris perle.
Des feuillages qui frémissent, pas très loin de moi, suivi de quelques battements d’ailes. Un oiseau à peine entrevu dans la lumière pâle d’un matin d’hiver… Puis le calme revenu, et toujours ce léger bruit qui devient de plus en plus inaudible à fur et à mesure que je m’avance vers ce banc de brume qui s’élève à peine.
La neige se tasse sous mes pas, recouvrant d’une épaisse couche cotonneuse ce sentier si fréquemment parcouru mais que je reconnais à peine. De temps en temps, j’entends sous mes pieds le craquement de quelques brindilles aussi sèches que ce froid glacial qui me pétrifie le visage.
Les lieus me sont familiers, mais la neige qui les recouvre leur donne un air de forêt canadienne; il ne manquerait plus que je me retrouve nez à nez avec un élan !
En surplomb du “Fleuve Royal”, me voici parmi les hautes herbes jaunies et pliées par un givre accrocheur. En contrebas, à hauteur d’homme environ, j’entrevois les vaguelettes clapoteuses qui jouent leur musique rythmée dans une mélodie aquatique contre la berge d’où ressortent des arbres presque couchés, épargnés jusqu’ici mais qui ne résisteront probablement pas aux prochaines crues.
Soudain le bruit sec d’une branche qui vient de céder, certainement sous le poids de la neige et de la glace qui telle une stalactite pointe son doigt vers le sol pour lui signifier son arrêt de mort, me surprend dans un silence à peine interrompu par les cris stridents d’oiseaux affamés et le chuchotement des flots engourdis par l’hiver.
Mais le fleuve reste bien caché sous un brouillard fluvial de janvier comme sous en édredon dont il ne veut s’en découvrir pour en garder le peu de chaleur de ses eaux.
Des bruits mystérieux étouffés par cette brume opaque parviennent à mes oreilles et je m’interroge… Un animal dont je ne vois rien viendrait-il de plonger ou de sortir de cette eau qui court vers un Atlantique libérateur ? Une énigme que mes yeux scrutateurs n’arriveront pas à percer.
Les masses d’air timidement réchauffées par l’astre du jour commencent à disperser lentement un brouillard bien moins gris que les eaux qui le portent sur son dos. Et tout de suite mes joues me rappellent qu’il serait peut-être temps de baisser les oreillettes de ma chapka chaude et douillette !
Dans un bras où l’eau est peu profonde, un miroir d’eau gelée me renvoie les premiers rayons d’un Soleil décidé à réchauffer des canards encore tout transis, au sortir d’un nuit autant glaciale qu’étoilée.
Après quelque minutes de contemplation, je décide de marcher pour ne pas finir gelé, tel un iceberg échoué. Impossible de longer le fleuve beaucoup plus loin, des arbres me l’interdisent et le sentier m’invite à les détourner. Entre deux bois, je quitte le jour naissant pour retourner dans une pénombre inquiétante.
Je n’entends plus chanter mon fleuve si souvent admiré, mais je ressens toujours sa présence et je sais que je vais bientôt le retrouver, juste le temps de m’attarder à regarder des arbres dépouillés de leur feuillage, de leur habit vert des beaux jours, juste revêtus d’une poudre immaculée que le vent naissant commence à faire virevolter.
Des arbres, dont je ne connais pas le nom pour la plupart, mais peu importe, ils ne naissent pas avec une étiquette clouée au tronc, ce que j’en retiens n’est autre que leurs formes. Troncs droits comme un “i”, nus sur deux à trois mètres, puis soudain comme une explosion qui se serait produite, des branches, d’où sortent d’autres branches plus fines. Et cela continue , de plus en plus fines, pour finir en brindilles, si fragiles par un hiver si dur…
Des troncs tordus, entrelacés de grosses racines qui semblent l’étouffer, l’étrangler, mais là pour protéger un corps si frêle des attaques du froid. Arbres à troncs multiples, tels les doigts longs et crochus d’une main géante gisant sur le sol.
Buissons brunis, brûlés par le froid, à peine coiffés de blanc, aux vestiges de fleurs séchées des beaux jours oubliés, déjà loin. Des ronces qui attendent patiemment l’été qui finira par arriver, comme les autres années, pour nous offrir ses mûres, enfin pour ceux qui les cueilleront sans avoir peur de se piquer…
Je quitte cet univers un peu sombre… Tiens, des empreintes qui traversent le sentier, trouant en espaces réguliers ce tapis blanc; un renard ? Un chevreuil ? Je ne suis pas un pisteur… Peu importe !
“Sa Majesté” est là, au bout du chemin, il ne saurait en être autrement de toute façon… Mais je ne l’entends plus, les notes de son concerto sont emportées par un vent fuyant m’interdisant toute écoute en auditeur privilégier. J’avance prudemment, me méfiant de quelques trous piégeux dans lesquels je pourrait me tordre une cheville. La brume a totalement disparu, chassée par ce vent qui s’il continue de forcir va vraiment devenir cinglant et antipathique.
Je la vois bien maintenant, “Son Altesse La Loire”, reflétant les rayons d’un Soleil qui s’annonce aussi froid que généreux. Ce Soleil, telle une sentinelle interdisant à quelques nuages téméraires qui voudraient s’aventurer de s’approcher, ni même de montrer seulement le bout de leur nez !!!
J’approche du rivage d’où monte cette chanson que je connais bien, celle d’un fleuve en hiver qui charrie ça et là de gros glaçons venus je pense des hauteurs des montagnes qui l’ont vu naître. Un univers liquide scintillant du reflet d’énormes diamants échappés d’une mine à flanc de montagne, emportés par un fleuve qui ne compte pas en perdre un seul, avant de les engouffrer dans une caverne d’Ali Baba, loin d’ici, entre nous et l’Amérique.
La vitesse des branches emportées me laisse apprécier la vitesse du courant… Un bon débit… Normal en cette saison. Elles ressemblent à des vaisseaux fantômes sortant de l’enfer de Trafalgar ou bien d’ailleurs, givre accroché aux rameaux telles des voiles lacérées par quelques boulets de canons dévastateurs.
A présent, la rive opposée est très nettement visible. une rangée d’arbres au garde-à-vous escorte ce cortège de minis icebergs et de navires en péril défilant sur ce grand serpent de ? … Mille vingt kilomètres, j’ai appris ça à l’école. Tiens, une école citadine où les beautés de la nature ne se trouvaient que dans les livres… Où nos Maîtresses nous faisaient faire du sport, nous avec ce que l’on avait aux pieds, baskets ou bottes de pluie, et elles en talons aiguilles… Une autre époque… Une époque où l’on ne se plaignait pas à nos parents d’avoir reçu un coup de règle sur les doigts… De toute manière, c’est qu’on l’avait mérité !
En regardant ces géants en manteaux blancs d’hiver, aux branches dégarnies, je n’imagine pas une armée de Titans venus tout droit de la mythologie mais, et j’en souris, un bataillon de “Pom-pom Girl’, avec ses grosses boules de gui comme autant de pompons de plumes.
Mes pas se font plus discrets. Dans un méandre où le courant ne peut plus imposer sa loi, à quelques dizaines de mètres de moi, quatre majestueux cygnes dont la blancheur de leur plumage n’a d’égale que celle de la neige, d’où ressort la couleur d’un bec aussi rouge que doit être mon nez, semblent attendre patiemment le retour du printemps pour de nouveau naviguer en Maîtres absolus. En attenant, de les voir dans l’eau glacée me fait frissonner de la tête aux pieds !
Et encore quelques canards un peu plus loin… Des cormorans ailes déployées pour un séchage après une pêche matinale… Courageux ces bêtes là pour plonger… Il faut bien manger ! Demi-tour et rentrer se mettre au chaud… Et je me prends le vent en pleine face… Aïe aïe aïe, ça pique !!!
Un pont débarrassé de son cocon, des bruits qui renaissent et s’amplifient, un retour à la civilisation qui n’a d’agréable qu’une chaleur retrouvée.
Alain ,l’hiver serait-elle votre plus belle saison? à vous lire on s’éveille à celle-ci ! merci du partage!