Poème à Charlie et autres morts
Paris faisait la grasse matinée
dans les draps froids de janvier
Hier on était un 7 janvier
La brume sensuelle des matins d’hiver
s’effilochait sur les balcons haussmanniens
Aragon dans sa tombe susurrait sa comptine:
«C’était un temps déraisonnable,
on avait mis les morts à table…»
De gros nuages vert-tendre
déployaient des trésors de tendresse
pour franchir les portes de Paris.
Le zinc des cafés sentait bon le propre
et les passants emmitouflés
dans leurs écharpes criardes
se faisaient peur
en traversant la rue Appert.
La voiture noire est sortie de nulle part
des égouts peut-être
et deux herbes folles
et deux chiendents de satin noir
comme de pauvres vomissures
ont craché la mort et le silence
«C’était un temps déraisonnable,
on avait mis les morts à table…»
Le sang échafaudait des caricatures
sur le blanc des feuilles
qui sentaient encore l’alchimie des feutres
sur le coin des tables
sur le bariolage des murs
et l’ombre blême du plafond
qui n’en demandait pas tant
Ils étaient onze révoltés
onze à boire la vie à en mourir
onze étonnés de tout
onze à jeter l’humour par les fenêtres
Puis les deux scarabées
ont poussé leur boule de haine
sur le Richard Lenoir,
Les ombres fuyaient devant eux
en chuintant dans les caniveaux
et les sirènes
qui s’étonnaient de tout
éclataient dans l’air assassin
Ahmed la petite hirondelle
sur son vélo tout neuf
patrouillait dans les nuages
et cousait des rêves pour sa femme
quand il a rencontré la mort
elle faisait mine de rien
au bras des deux mirages
mais le coup est parti
dans sa tête
pour un dernier bal masqué
dans le noir infini
«C’était un temps déraisonnable,
on avait mis les morts à table…»
La nuit
les armes et les sirènes
ont vidées leurs poubelles de peur.
Au petit matin du 8
Montrouge aussi était apeurée
et pour une fois les voitures se taisaient.
Clarissa pensait une dernière fois
à ses jeux dans la mangrove
Sa peau noire
enluminait le bleu de sa veste
Clarissa était toute neuve
avec un sourire de campanule
qui a pris des teintes d’inquiétude
quand la mort a haussé le ton.
«C’était un temps déraisonnable,
on avait mis les morts à table…»
La porte de Vincennes
n’est pas loin à pieds
les étals tout emmitouflés
sentaient bon le velouté des épices cashères.
Le 9 janvier au bout des rayons
chargés de tout et de rien
la mort a fait son tour d’honneur
sous les vivats nauséabonds des monstres
avec dans ses bras
quatre autres enfants
de France
«C’était un temps déraisonnable,
on avait mis les morts à table…»
Le 10 et le 11 nous étions seulement
quatre millions
et si forts pourtant!
Christian Dumotier
Le 12 janvier 2015
Il me parle ce texte. Pour avoir connu personnellement Jean (Cabu,) cela me touche au plus haut point…
cela reste un cauchemar pour moi
Anne