Miracle dans la taïga – Jean-Marie Audrain

Antonov était l’aumônier de la prison de Vladivostok. Plus pour longtemps car il devait s’engager au plus vite dans l’armée impériale afin de racheter sa faute. Il s’était emmouraché d’une adorable jeune fille rencontrée sur la Baie de l’Amour, le fleuron de la ville.

Il marcha donc durant des semaines pour atteindre la Sibérie orientale d’abord, puis la partie nord du biome. Il traversa une immense forêt de conifères ensevelie sous un épais manteau de neige la majeure partie de l’année et on arrivait à un hiver faisant chuter le thermomètre à moins 40. Cette région était appelée le monde du silence au cœur de cette saison sans vie.

Il parcourut à une cadence soutenue toutes la taïga qui allait bientôt se réveiller, ce que prouvait la rencontre d’oiseaux invisibles en d’autre forêts. On entendait en effet poindre le chant des espères les plus rares comme le tétras de Sibérie, l’accenteur montanelle, la chouette lapone ou la grive de Naumann. Ayant fait silence, Antonov, qui marchait toujours en queue de troupe, s’était arrêté pour s’imprégner de cette nature sauvage, jusqu’à ne plus sentir le temps passer et se retrouver totalement isolé. Il aurait fallu qu’il croire quelqu’un mais il arrivait, s’il ne se trompait pas, au cœur de la forêt boréale où on ne croisait jamais âme qui vive.

Il avait lu Descartes l’européen et il suivit son conseil : marcher toujours droit dans la forêt pour en trouver une issue. Ce soir-là, dans la pénombre, il cru apercevoir une étrange silhouette. En avançant sans faire craquer les feuilles jonchant le sol, il put s’approcher d’une femme très âgée en guenille s’appuyant sur ce qui ressemblait à une corne d’élan. Lorsqu’il ne se trouva plus qu’un une longueur de bras de cette pauvre autochtone, il l’entendit s’adresser à lui dans un murmure à peine perceptible : l’abbé, âme à sauver », et levant un lanterne à la flamme presque moribonde, elle pointe du doigts la zone de la forêt la plus noyée dans la pénombre.

Comment pouvait-elle savoir qu’il était abbé alors que sa soutane se trouvait sous son uniforme ?

Était-ce une hallucination ? Une vue de l’esprit d’un marcheur affamé et sans repère ?

Au bout d’une demie heure de marche au rythme soutenu, il cru apercevoir ce qui aurait pu être une chaumière abandonnée, cernée de racines et de branche en emprisonnant toutes les issues. En s’approchant encore, il devina un imperceptible nuage de fumée d’échappant d’une minuscule cheminée en pierre ocre et à ce moment-là, il aperçut par l’entrebâillement de l’unique petite porte, comme une étrange lueur. Il releva donc ses manches pour la dégager de tous les robustes végétaux l’empêchant de l’ouvrir, puis il s’immisça dans l’unique pièce de cette masure au toit totalement recouvert de mousse verdâtre.

Antony devina à ce moment là la présence d’une femme âgée allongé sur un lit qui n’en méritait plus le nom tant il était dévoré par les nuisible et cette femme toussait à en cracher ses poumons.

Il voyait bien qu’elle vivait ses dernier moments et que c’est bien d’elle que parlait la grand-mère croisée dans la taïga qui lui avait dit en lui indiquant cette direction « âme à sauver ».

Il sortit donc de sous toutes ses chaudes épaisseurs vestimentaire un custode contenant une ostie consacrée, une petite fiole d’huile bénie et son livre de prière contenant celle de ce que l’on appelait prière pour l’extrême onction. Il lui apposé du pouce droit un peu d’huile sainte sur le front, lui mit un petit fragment d’hostie sous la langue, et lut à haute voix la prière qui s’imposait.

En reposant son bréviaire sur la table de chevet, il aperçut une photo et ne put s’empêcher de laisser à haute voix « mais c’est la dame que j’ai rencontrée et qui m’a envoyé vers vous ».

La moribonde rassembla ses dernières forces pour lui dire « c’est Valentina, ma mère, morte il y a 40 ans. Elle a toujours dit qu’elle ferait quelque chose pour moi quand elle serait au ciel.

L’abbé se sentait défaillir, mais il lui demanda comment elle avait pu allumer ce semblant de feu dans l’âtre qui scintillait encore de quelques flammèche et la femme répondit juste avant le moment de son dernier souffle, en ânonnant et en suffocant : « Je viens de m’apercevoir que ce que ma mère avait collé derrière sa photo pour la faire tenir debout était une grosse boite d’allumettes. J’en ai alors gratté une, puis deux, puis trois qui refusaient de s’allumer. En désespoir de cause j’ai projeté ma Bible dans la cheminée n’ayant rien d’autre à y faire brûler, j’ai prié, l’allumette suivante s’est aussitôt enflammée et je l’ai lancée sur la Bible qui s’est immédiatement embrasée dans la cheminée ».

L’abbé lâcha enfin les mots qui s’imposaient à lui : « Madame, c’est un miracle » et il reçu comme réponse les derniers mots de celle qui allait rendre l’âme à la seconde suivante : « Non l’abbé, c’est ma maman ».

 

 

 

Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (797)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : https://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial. Malgré tout il vient d'autoéditer le florilège de toute en vie et dans tous les syles : https://www.amazon.fr/Petit-Prince-Mots-dit/dp/B0BFVZGNYM et d'écrire des chansons pour 3 CD d'Ophélie Morival (puis pour d'autres voix amies) : https://www.youtube.com/watch?v=Q0bvWkljrlw.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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Johanne Hauber-Bieth
Membre
3 septembre 2025 10 h 29 min

Bravo…
Belle Histoire et belle chute…
Bisous et bonne journée Jean Marie…

Gérard Lepoutre
3 septembre 2025 10 h 28 min

Un récit qui nous fait voyager et revoir notre Géographie.

Un texte émouvant et, une fin que l’on n’attend pas forcément ! qui revoie le lecteur à sa propre maman.

Tous les ingrédients d’un bel écrit sont réunis, ici.

Cordialement.

G.L.

Dominique DAVID
Invité
Dominique DAVID
3 septembre 2025 10 h 28 min

Merci Jean Marie pour cette tres belle histoire racontée et tres bon mercredi à toi gros bisous Domi

Picot marylise
Invité
3 septembre 2025 10 h 20 min

Magnifique histoire de cet abbé,et de la merede cette dame,à qui la mort étais venu la chercher et sa mère lui a trouvé cet homme d’église pour la bénédiction du dernier sacrément,(moi j’y crois car chez ma mère un cadre tombé remis en place est de nouveau tombé 3 fois j’ais dit à ma mère il y a quelqu’un là-haut qui veut te dire quelque chose nous sommes allés sur la tombé de mes deux sœurs décédé très jeune 1ans et demi et 5ans et demi )et le cadre n’ais plus jamais tombé les esprits sont la à nous protéger mon PAPA mon étoile qui m’as donné la force trois fois de ne pas mourir de me battre et mon corps sait battu et je suis toujours là à 72ans bientôt merci de ce témoignage JEAN-MARIE AUDRAIN BISES .

Chausson Maud
Invité
Chausson Maud
3 septembre 2025 9 h 18 min

Merci pour ce texte si emouvant. Nouveau sujet la Taïga. Bien intéressant.

Odile Stonham
3 septembre 2025 9 h 16 min

Très beau et très émouvant ton texte Jean-Marie !

Annick du Patys
Invité
Annick du Patys
3 septembre 2025 8 h 00 min

Quel beau récit.