L’Inconstance des sentiments – extrait (4) – Caroline Pivert

fotolia_50953748“Et malgré tout tu n’es pas encore partie, mélancolie inexpliquée. Tu vois je te tutoie, toi aussi, tant tu m’es familière, consubstantielle, même, je pense… Puis tant j’entends ta voix, qui me fait des reproches, au cœur de l’agonie…

 Prière à la mélancolie

 I

Mélancolie, tu te transportes,

Entre mes seins, dans mes eaux mortes,

Le sel de l’eau emplit mes yeux

Mes jours sont vieux, tu les emportes

 

Mélancolie, comme un ciel bleu

Après l’orage qui vous lave

Tu es la pureté des cieux

Et la nuit vient comme une enclave

 

Comme une esclave qui se lasse

Qu’un être libre a pris en traître

Moi je me traîne et je ressasse

Des souvenirs d’amours humaines

Non je n’ai pas fini ma quête

 

II

J’ai mal pour eux. Mal pour moi-même

Et puis j’ai bien trop dit je t’aime

Aux paresseux de l’amour tendre

Que j’ai le cœur fou à se fendre

 

III

Tu as troublé mes habitudes

Pris en otage mes étés

Je n’ai que peu de certitudes

Toi, marchant là, à mes côtés

 

Mélancolie, triste fortune

Que l’on ne peut jamais léguer !

Un rayon vient, doux, sur la lune

Oh j’ai mal d’avoir tant aimé

 

Aimé sans retour, puis sans haine

Aimé comme on détruit ses chaînes

Le cœur jamais habitué

Et l’âme à jamais incertaine

 

Et là je rêve du passé

Toi ? Tu m’enchaînes

La nostalgie de l’être aimé

N’est pas la réponse suprême

 

IV

Questions, questions recommencées

Contre un néant qui vous obsède

Je remplissais de l’être aimé

Le vide fou que l’on ne sème

 

V

À reculons, mélancolie,

Je vais, je viens, je te contourne

Quelquefois je me porte mieux

Mais tu reviens, tu te retournes

Tel un passant déçu, blessé

Qui me regarde dans les yeux

Fixement, hébété

 

Ivresse, ivresse, es-tu passée ?

T’ai-je assommée en cours de route ?

Le vin ne vient plus t’entraver

Mélancolie, coûte que coûte,

Ah te voilà bien installée

 

Entre mes reins, contre ma bouche

Et tu m’embrasses et tu m’embrasses

Quand je me lève ou je me couche

Jamais jamais tu ne te lasses

Nul ne te mettra sur la touche

Car nul ne veut prendre ta place

Tu es la clé de mes impasses

 

VI

C’est un chant d’amour érotique

Que je t’écris, lors que je passe

Entre ces sentiers douloureux

Un chant d’enlacement tragique

Yeux dans les yeux

Cœur sur ton cœur

Toi, tu te piques

D’avoir enraciné mon âme

Entre tes griffes

Moi, je me risque

Contre ta flamme

Brûlure antique

Antique flamme !

 

Contre ma joue, entre mes codes

Tu te frottes comme un amant

Contre lequel un rien s’érode

Tu es fidèle, je te le rends

 

VI

Faisons l’amour

Comme il se doit

Entre tes bras, je trouve un jour

Gris, mais à moi

Un monde sourd

Oui, mais à moi

Univers lourd

Tout comme moi

 

VII

De la folie ? Je n’en ai pas.

Mélancolie : protège-moi

Compagnon de ma route d’infortune apparemment hors-normes, apparemment « hors-lois », tu ne referas jamais tes bagages, pour aller tourmenter, enfin, peut-être, d’autres âmes…

 La mienne est condamnée semblerait-il depuis toujours, et rien vraiment n’y fera. Pas même un magnifique amour. Du moins je ne voudrais plus me faire trop d’illusions !

 Tout ce que je peux prédire, en ce jour pourtant sans nuages, c’est que je ressentirai malgré tout, toute ma vie, les foudres de ta fatalité. C’est ainsi. C’est scientifique, c’est du déterminisme. Il faudra que j’y ménage des pauses, voilà tout. Que j’apprenne à mieux te gérer, et, pour cela, à mieux t’appréhender. (…)

 Tu es « première », tu es comme qui dirait principielle dans mon existence.

 Tu es au fondement de ce que je suis. Tu m’as formée, déformée, et ma personnalité même est fortement intriquée à ta présence, ou à ton retour obligé lorsque parfois tu me quittes. Et cela, même l’amour n’y pourra jamais rien, je me dis (trop ?) souvent. Car il n’est, à mes yeux, pas de plus forte puissance en ce monde que ton empire, sur moi, sur mes gestes, sur mon esprit. Je vis avec toi, ou, plutôt, je cohabite avec toi depuis toujours.

 Puisque tu fais partie de moi comme une mère porte son enfant. Et cette «enfance » est difficile, si vous saviez !

 Cette part de nous-mêmes à toujours consoler, à tenter tout du moins, de faire un peu grandir, si tel en est la nécessité ou disons le passage obligatoire, feu rouge qui vous dit « stop !», sur le chemin déjà tracé, semblerait-il, dès lors, de toute éternité: la condamnation, maléfique, que sans jugement impartial, sans procès équitable, l’on impose à nos jours, à nos soirées dans l’ombre.

 Douleur qui ne se légitime en rien, donc, se nourrissant seulement de sa propre existence… Dans toute une contagion, de plus, incontournable, car nul ne vit ne manière hermétique, ni avec son voisin, ni dans le flou toujours vivace d’un amour comme le nôtre, mon cœur. Toi qui connais déjà ces vagues de souffrance… tendant à se dresser au-devant du silence, des peines acharnées…

 Et c’est inextricable, enfin, c’est relié pour toujours.

 Jamais je ne pourrais te faire mes adieux, vœu privé du réel, des potentialités qu’un ciel majestueux saurait soudainement comprendre, recevoir, définir comme nouvelle danse, en ce bal de tout devenir, en ce défi à la raison, aux sens ou encore à la science, qu’on peut bien accuser, dans les maux continuels que sèment sa violence !

 Donc ni adieu, ni larmes, celles-ci sont stériles. Et je fais par dépit, décidément, ce choix de ne l’attendre plus, la « norme émotionnelle », ce choix de m’engager dans l’exact opposé des routes attribuées, comme on pourrait parfois le croire, dès notre plus jeune âge.

 Comme on ne saurait faire un bye-bye à la chance, à l’idée d’être heureux, moi je ne peux leur dire adieu, à ces larmes sans fin, si substantielles, si denses. O désir bien complexe, irritable, épuisé, d’un penchant vers l’été, au beau milieu des neiges, effrayant froid mental !

 On nous refuserait, sous le prétexte odieux d’ « erreur à la personne », toute cette promesse, ce serment merveilleux, d’un soleil qui se dresse au-devant de nos jours, que nul ne me tiendra, pourtant, dans ces orages, où tu n’es jamais loin, nœud indéfinissable, mon spleen désemparé, comme sortant des rangs, des conventions, des lois du bonheur et du juste.

 Erreurs en tout les cas, me semble-t-il, toujours ! Erreurs de la nature, qui en serait la cause, de cette dépression, l’unique à le mener, ce cours de nos passions, là, survolées là-haut comme en reconnaissance, par une dérision, un non-choix, un non-sens, sur le terrain des villes où tant nous nous terrons, attendant délivrance, secours et guérison.(…)

 N’en reste pas moins que toi, mon très vieux « tutoiement », dans le grand monologue intérieur que je fais, de tous mes sentiments, toutes mes émotions, tu manges suffisamment de mon temps, gloutonne inexcusable que tu resteras. Oui je te parle à toi, mélancolie suprême ! Toi, entends-tu ma voix, comme je subis la tienne ?” 

C. Pivert 

 https://www.edilivre.com/l-inconstance-des-sentiments-231c822081.html

 

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Caroline Pivert

Caroline Pivert (20)

Née en Polynésie française de deux parents tous deux navigants, j'aurais toute ma jeunesse profité de cette opportunité pour parcourir le Monde. Une chose parmi tant d'autres a planté en parallèle ses racines dans ma vie: Les mots et leur poésie.

Les romans sont un peu comme des chansons à mes yeux. Il est plus facile de comprendre le monde quelquefois sous cet angle, mélodies éphémères et pourtant si profondes, que sous les lois de la politique et du "marché".

Je publierai régulièrement des poèmes sur ce site.

En espérant vous voir les découvrir,

Caroline Pivert

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Abdelkrim
Invité
Abdelkrim
12 février 2016 14 h 58 min

” il n’est, à mes yeux, pas de plus forte puissance en ce monde que ton empire ” :
Oui je te parle à toi, mélancolie suprême !

Un texte formidable qui,
à défaut de libérer de l’emprise de la mélancolie,
propose de continuer la vie,
quelles que soient les couleurs fournies…