Le Passager – Patrice Fougeray

Le Passager

 

I

Un homme est venu

Traînant la longue chaîne

Un homme est venu

Portant la lourde peine

Un homme est passé

À travers le vallon

Un homme est passé

A longé les maisons

Et nous avons vu l’homme

Pas lourd et dos ployé

Et nous avons vu l’homme

Passer dans la cité

Avons regardé l’homme

Que sa charge courbait

Avons regardé l’homme

Qui sous la chaîne peinait

Et l’homme de ses yeux lourds

A porté son regard au niveau des fenêtres du bourg

Et l’homme aux yeux si lourds

Vit trembler les rideaux des fenêtres du bourg

A chaque pas de l’homme

Courbé dessous sa charge

A chaque pas de l’homme

S’alourdissait sa charge

Et plus l’homme avançait

Tirant, traînant la chaîne

Et plus l’homme avançait

Plus grandissait la chaîne

L’homme aux muscles saillants

Demi nu

L’homme aux muscles saillants

Lentement disparut

Et nous sentions nos cœurs

Peu à peu s’alléger

Et nous sentions nos peurs

Avec lui s’éloigner.

Seule, cliqueta longtemps

La longue, longue chaîne

Sous la Lune montant

Au-dessus de la plaine.

Nous nous sentions légers

Dans nos âmes et nos cœurs

Nous nous sentions légers

Nous croyions au bonheur

En passant par chez-nous

L’homme avait emporté

Nos haines, nos courroux

Et nos iniquités.

 

II

Ainsi nous l’avions vu

Chez nous il est passé

Ainsi nous l’avions vu

Le Proscrit, le Damné

Ses épaules chargées

De nos crimes immondes

Ses épaules chargées

Des désordres du Monde

En tirant après lui

Nos peines, nos chagrins

En tirant après lui

La boue souillant nos mains

Et la ville délivrée

Renaissait à l’éveil

Et la ville délivrée

Se sentait au soleil

 

III

Nous l’avons vu passer

Mornes, indifférents

Nous l’avons vu passer

Sans l’aider un instant

Alors l’homme s’arrêta

S’asseyant sur les monts

Alors l’homme s’arrêta

Et toisant le vallon

Il étendit la main

Sur la cité ingrate

Il étendit la main

Pour que l’orage éclate

Et de sa voix roulante

Écrasant les maisons

Et de sa voix roulante

Lança sa damnation

Soulevant son fardeau

Le jeta sur la ville

Soulevant son fardeau

Il en noya la ville

Ramenant un à un les maillons de la chaîne

Les lova en muraille autour de la cité

Ramenant un à un les maillons de la chaîne

Les souda en muraille autour de la cité

Sous le ciel obscurci

Nos veines se glacèrent

Sous le ciel obscurci

Nos yeux se dessillèrent

 

IV

Nous errions dans les rues

Dans la crainte et l’éveil

Nous errions dans les rues

En absence de sommeil

Au-dessus nos têtes

Les nuées grondantes

Au-dessus de nos têtes

Une nuit oppressante

Et la haute muraille

Où nous brûlions nos mains

Et la haute muraille

Nous garda en son sein.

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Patrice Fougeray

Patrice Fougeray (41)

Journaliste retraité de la presse écrite régionale,J'ai été amené à m'intéresser à tous les aspects de la vie en société. Cependant plus attiré par la culture que les faits divers, même si certains de ceux-ci m'ont conduits à écrire une recueil de nouvelles ,"L'Oeil inquiet", puis un récit romancé ," Relation(s)" en recherche d'éditeur, et un second recueil de nouvelles "Vies secrètes", également en attente d'édition.
Mon psuedo d'auteur, Julien Ertveld, vient de la séparation des mes centres d'intérêt lorsque j'étais journaliste. Il s'agit du nom de jeune fille de ma mère, dont le père avait une origine belge.
J'écris de la poésie depuis l'âge de seize ans.

5 réflexions au sujet de “Le Passager – Patrice Fougeray”

  1. Je ne peux m’empêcher de comparer ce passager au Christ et à sa crucifixion qui porte sur lui tous les pêchers du monde et souffre de l’indifférence ressentie par les humains , vis à vis de notre prochain! Ce poème nous prend aux tripes et reflète bien ce que signifient ces fêtes de Pâques , merci pour ce partage ! bonne journée Colette Guinard

  2. Merci de vos commentaires. N’étant pas croyant, je ne pensais pas au Christ, mais vos suggestions me vont au coeur. Pour ma part, je pensais d’une manière plus large, à tout étranger passant par nos rues, et que nous regardons au mieux avec indifférence, au pire avec hostilité, plus rarement avec compassion.

  3. Je ne peux m’empêcher de repenser, en lisant votre texte si parlant et émouvant, à la mission du Christ qui prend sur lui nos fardeaux, connaît le rejet, l’indifférence, l’ingratitude….le mépris, porte la croix…tout le poids de l’indescriptible souffrance qu’il a endurée, et tout ce qui l’a conduit au Calvaire,.., les âffres de la crucifixion, de l’agonie….etc…il y aurait tant à dire s’il fallait faire une “exégèse” de votre poème, qui me ramène au pied de la croix où est la source de ma paix et de ma guérison…. Je pleure.

    “Nous l’avons vu passer
    Mornes, indifférents
    Nous l’avons vu passer
    Sans l’aider un instant..*
    (Tant de similitudes avec Ésaie 53).
    Votre texte m’émeut profondément.
    Merci, Patrice. Magnifique.

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