Allongé sur le dos, je ne vois que du blanc
Et mon corps est trop lourd pour faire un mouvement
Je ne peux pas bouger même si je le veux
Je suis trop fatigué, je vais dormir un peu
Le docteur parle en anglais et les autres en zoulou
Et ils m’ont dit que j’étais dans un I.C.U
Je me rappelle que j’étais au Zimbabwe
Je ne me sentais pas bien quand je suis tombé
Je sens autour de moi haleter des machines
Je les vois clignoter; quand parfois une couine
Quelqu’un vient en courant pour venir la faire taire
Et bouger un des nombreux tuyaux qui m’enserrent
Tout a un goût affreux, je ne peux rien manger
S’il vous plaît, quelqu’un, j’aimerais tant rentrer
Je suis enfermé dans mon lit comme en prison
J’aimerais tant qu’on me ramène à la maison
J’essaye une nouvelle fois de me tourner
Pour pouvoir m’allonger un peu sur le côté
Je n’y arrive vraiment pas et j’en ai marre
De ce matelas en plastique anti-escarres
Je n’arrive pas à parler ni à écrire
Au mur, une horloge que je ne sais plus lire
Égrène des heures que je ne sais plus compter
C’est la même lampe la nuit et la journée
Quand j’ai soif, je tente de croasser “water”
Et une des infirmières présentes à toute heure
Vient me soutenir la tête en me relevant
Pour me faire boire à la paille en aspirant
J’ai beau demander, personne ne me comprend
Je ne veux plus être lavé couché, au gant
Je veux rentrer chez moi, être rapatrié
J’ai envie de pleurer, je suis abandonné
En octobre 2013, suite à une péritonite en voyage au Zimbabwe, j’ai fait une septicémie généralisée. Pendant le transport médical aérien, et après un arrêt respiratoire où j’ai vomi dans mes poumons, je suis arrivé aux urgences à Johannesburg, dans le coma, sous respiration assistée, les reins arrêtés, une tension de 7, de multiples œdèmes et un pronostic vital “très défavorable”. En langage de tous les jours, cela veut dire “préparez vous, il va très probablement mourir”
Je suis sorti du coma au bout de quelques jours, mais j’étais trop agité, branché de partout, et ils m’ont reprolongé mon coma. Finalement, après 15 jours de coma, ils m’ont réveillé et je suis resté en réanimation, intransportable, pendant 4 semaines supplémentaires avant d’être rapatrié pour un mois d’hôpital à la Pitié Salpêtriere.
Mon esprit avait un peu occulté toute cette histoire et cette sensation si étrange d’être dans un corps comme un légume, ne pouvant pas se lever, ne sachant plus marcher, ni parler, ni manger, ni communiquer, ni même bouger. A cause des diverses drogues, mon cerveau non plus ne fonctionnait pas bien : je ne savais même plus lire l’heure sur l’horloge murale installé sous mes yeux.
Et puis, sans que je ne le veuille, 9 ans après (fin 2022), la veille d’une opération chirurgicale pour réparer une hernie, toutes ces sensations me sont revenues en mémoire et j’ai écrit ce texte qui n’a ni fin, ni conclusion, parce qu’à l’époque, il n’y en avait pas.