Les écureuils – Christian Satgé

Petite fable affable

 

Deux écureuils roux, dans une écurie, nichent,
Plus accueillante hostellerie qu’une niche.

Cette paire de rongeurs, frères de sang,
Non de cœur, avait le caractère
Aussi différent que peuvent l’avoir deux frères.
Ils compagnonnaient, tout en passant
Leur temps en dispute et controverses :
L’un était amasseur et avaricieux ;
L’autre emmaganiseur, à l’inverse,
Dépensait tout ce qu’il glanait sous les cieux.

À quoi sert un trésor qu’on abrite
Si personne, jamais, n’en profite ?

Le premier, âpre au gain, courait tout le jour
Pour engraisser son magot. D’égale
Façon, pour mieux satisfaire sa fringale,
Il accaparait la nuit. Toujours.
Ce drôle avait maintes chambres fortes
– Il ne savait où ; il ignorait combien –
Pleines à craquer pour cette saison morte
Où il est si bon de jouir de son bien.

Et ces soifs d’avoirs que rien, jamais, n’étanche
Font des fonds dont souvent rien on ne retranche.

Mais l’autre, avant de boire l’eau du Léthé,
Au lieu de tout mettre sous séquestre,
Voulant jouir des joies terrestres
Des plaisir partagés, d’amis invités,
Offrait et le couvert, et le gîte,
Sans se soucier des frimas à venir.
Et plus d’un le cajole, ou s’agite,
Pour être de la tablée, y revenir.

Que d’amis quand la Fortune vous sourit,
Du hibou aux grillons, jusqu’à la souris.

De peur d’être, par son frère, pigeonné,
Le pingre engagea une cohorte
De mulots, avec campagnols en escorte,
Pour garder son butin bétonné
De tous les vrais voleurs, du fisc à sa famille.
Pour payer son armée, le fesse-Matthieu,
Lui permit, en ses caches, sous la charmille,
De faire provende, selon Loi du lieu.

Voyant que son fonds fond, notre Chiche s’offre
Un comptable qui puise aussi dans ses coffres.

Floué, le radin en appelle au Furet.
Ses gens et son avocat accusent
Son frère prodigue d’être pis que buse.
Le juge eut tôt fait pour ses arrêts :
Le dépensier ayant l’infortune
De n’avoir ni argent, ni amis, partis
Au vent tournant par quelque chance opportune,
Il le condamna comme on châtie.

L’autre perdit son trésor, pour les épices
Du procès et autres appointements propices.
Le dispendieux connut alors prison
À l’heure où, triste, Perséphone
Retrouve Hadès, d’humeur griffonne.
Le rapiat, ruiné par déraison,
Périt de faim, seul, sans feu ni lieu :
« Par peur de misère, je fus misérable,
Oubliant que “trop” et “peu” gâtent le jeu.
Comme un vieux rat je meurs, sans rien sur le râble ! »

Si plus d’un ami arrive à table mise,
Plus d’un fuit, quand on a perdu sa chemise !

© Christian Satgé – juillet 2011

Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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