Jésus nous dit ce jour : « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit ». J’aime mettre deux versets bibliques en convergence, en écho ; aussi ajouterai-je celui du psaume 23 : « Et Tu fais que ma coupe déborde », sujet d’une précédente minute.
J’avoue ne pas savoir pourquoi, mais bon nombre de chrétiens se sentent plus proches des versets sur la misère, la souffrance et le péché que de ceux sur la joie, la plénitude et la félicité. D’aucuns doivent se dire « Ah ! si celui qui a écrit cela savait ce que je vis ! ».
Et on regarde toujours autour de soi, à en jalouser les fruits des autres.
En pensant à ces personnes, je revois St Bernard nous comparant à des vases : tous de tailles différentes, donc tous comblés avec des grâces de mesure différente. Le petit vase aura tendance à envier le grande qui a reçu plus que lui, et pourtant, ce petit vase est déjà à la limite du débordement. Le regard jaloux nous prive de l’action de grâce et de la félicité, du bien-être de la plénitude.
Le fondateur de Clairvaux nous dit aussi qu’il ne faut pas chercher à partager ces grâces, ces fruits, dès les premiers reçus, au risque de se retrouver « à sec » et de devenir la risée d’autrui. Bien au contraire, il faut laisser Dieu nous remplir encore et encore des ses grâces, de ses fruits, jusqu’à en déborder. C’est par débordement que nous porterons utilement du ou des fruits. C’est ce que symbolise le débordement de la coupe de shabbat chez les juifs : le rabbin ou le père de famille y verse le vin jusqu’à ce que la coupe déborde. Lors de la
messe, le prêtre ne peut aller jusqu’au débordement car le vin devient sang du Christ après sa consécration, mais le sens demeure le même : Laissons-nous combler jusqu’au débordement. Une parabole évoque des outres dont certaines viennent à craquer. La fidélité du contenant a donc aussi son importance. Il ne faut pas rechercher une quantité de fruits que nos vieilles outres ne supporteraient pas. D’où la leçon à tirer de cette parabole : devenir des outres neuves ! Ainsi nous pourrons, comme dans l’une des toutes dernières chansons de Jacques Brel, « Aimer jusqu’à la déchirure ».
Mais jamais au-delà. Laissons donc se remplir et se combler en abondance nos outres neuves afin de porter du fruit lors de leur débordement sur notre entourage.
Sans déconsidération de la petitesse de nos vases ou de nos outres, sans comparaison avec celles des autres. C’est peut-être aussi simple que cela de vivre la plénitude, la félicité, en un mot, le Royaume !
L’herbe n’a jamais été plus verte sur la rive d’en face. L’abondance est partout quand on connaît et respecte les lois universelles de la nature.