Arletty – André Nolat

ARLETTY – ANDRE NOLAT

 

ARLETTY (1898-1992)

 

La voix du vrai Paris, massacré avec méthode depuis le dynamitage des Halles et plus encore aujourd’hui, c’est la voix d’Arletty dont le dernier grand film fut L’Air de Paris avec son « pote » Jean Gabin – qu’elle appelait « Gabinos ».

     Née Léonie Bathiat, le 15 mai 1898 à Courbevoie, dans le même temps que la première ligne du métropolitain, Arletty, fille d’un ajusteur et d’une blanchisseuse, perdit son premier amour qu’elle appelait « Ciel » dans les boucheries de 1915. Ouvrière d’usine à la mort de son père puis dactylo, elle rencontre sa chance, au cours de l’été 1918, en la personne de Paul Guillaume, le célèbre marchand de tableaux, ami d’Apollinaire. Lancée par sa recommandation, elle devient mannequin, modèle pour Kisling, Van Dongen, entre autres, femme de revue, actrice enfin. Et quelle actrice ! Sacrée impératrice de la rue, elle emporte dans la traîne de sa voix unique d’inoubliables répliques.

     Affranchie comme certaines, « sentimentale comme toutes » (sic), elle vit selon son cœur. Son mépris affiché des convenances, sa haine de la guerre, le hasard l’amènent en 1941 à s’éprendre follement d’un officier de la Luftwaffe en poste à Paris : Hans Jürgen Soehring « ni fanatique ni particulièrement zélé » et de dix ans plus jeune qu’elle, avec lequel, frondeuse, elle se comporte comme si la guerre n’existait pas. Mais, à la Libération, elle s’apercevra qu’on ne doit pas vivre dans l’insouciance à l’intérieur d’un pays vaincu, occupé et, pour le moins, brutalisé, qu’on ne vit pas impunément contre la société et surtout contre ceux qui, le 6 juin 1944, remplacèrent à leur boutonnière la Francisque par la Croix de Lorraine ; qu’on ne défie pas sans risque la masse des envieux.

     Arrêtée le 20 octobre 1944, elle est enfermée à la Conciergerie puis internée à Drancy. Il n’empêche que, devant ses juges, elle crâne encore, prononçant quelques répliques dont on ne sait, au juste, si elles sont réelles ou apocryphes, correspondant à la légende de l’actrice. Notamment, à un de ses juges : « Si j’ai couché avec lui, c’est qu’il avait une belle gueule et qu’il me  donnait du plaisir (l’expression était beaucoup plus directe), ce qui ne me serait certainement pas arrivé avec vous ! »  (Shoering, ayant refait sa vie et nommé ambassadeur de la RFA à Léopoldville (Kinshasa),  mourra noyé en 1960 dans le fleuve Congo, avec son fils de 12 ans.)

     Libérée le 6 novembre 1946, Arletty paiera son prix. Sa carrière sera, en partie, brisée. De plus, en 1966, elle devint aveugle. Ainsi vivra-t-elle, vingt-six années, toujours vêtue de blanc, jusqu’au moment où la nuit du 23 juillet 1992 viendra la libérer de sa solitude. Stoïque, en accord avec elle-même apparemment, elle ne souhaitait pas la mort qu’elle feignait de ne pas craindre. (Dans la biographie, très complète, d’Arletty par Pierre Demonpion, on lit qu’Arletty vécut, en fait, sa condamnation avec amertume, qu’elle s’endurcit, usant d’une vindicte un peu célinienne, et qu’elle eut aussi le sentiment d’une sorte de rééquilibrage voulu par le Destin : la cécité répondant à sa curiosité excessive.)

     Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, ses admirateurs l’emportent de beaucoup sur ses ennemis et Mme Raymonde, Clara, Marie Qu’a-de-ça, Loulou, Garance,  Madame Sans-Gêne», Gazelle et toutes les autres créations qui lui appartiennent continuent leur ronde de rêve au-dessus de la foule… Ces créatures du cinématographe sont nimbées d’une étrange nonchalance poétique ; l’émanation même de la môme de l’ancienne banlieue qui, mince, flexible, élégante, atteignit le firmament de l’écran français peut-être parce qu’à dix-sept ans elle avait perdu un coin de son ciel bleu…

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Guy André Talon

André Nolat (43)

J'ai publié, chez de petits éditeurs sérieux et en autoédition avec souscription, sous le pseudonyme d'André Nolat (que je tiens à conserver), des plaquettes, des nouvelles, des chroniques, des essais. Je ne m'en prévaux guère.
Par ailleurs, je vis seul depuis le décès de ma compagne, et j'aime lire, écrire, voir des films, des débats télévisés, etc.
Quant à ma vie passée, plus agitée, elle a fait l'objet de divers récits liés à des lieux où j'ai vécu - presque tous détruits ou métamorphosés... C'est pourquoi à partir d'un certain moment de son parcours, je crois qu'on peut dire, citant Céline, " qu'on est plus qu'un vieux réverbère à souvenirs au coin d'une rue où il ne passe déjà presque plus personne."

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