L’estoc et le soc – Christian Satgé

Petite fable affable

Une épée en son fourreau
Flanque un fort vieil hobereau
Contraint de labourer ses terres
Avec sa charrue grabataire
Et ses deux bœufs fatigués
Mais œuvrant sans rousiguer.

La lame fourrée causait
Au soc fort couperosé
De rouille qui, par habitude,
Sans lenteur, avec rectitude,
Déchire le sol ingrat
Comme l’est le pire rat.

« Toi qui es nu comme fer,
Sais-tu ce que c’est l’enfer ?
Fait l’espadon qui se refuse
À vêtir de lin ou d’excuse
Les ors de sa vanité.
Parle sans fatuité !

– Je ne sais que retourner,
Fendre, tailler, sillonner,
Et déchirer la pauvre glèbe,
Humble comme cette plèbe
Dont notre maître n’est pas
Mais dont il suit la vie, les pas,…

– Foutaises que tout cela !
Moi j’ai connu, ici, là,
La gloire des combats, la guerre
Où on ne se prélasse guère.
J’y fus foudre tout éclairs,
J’ai fendu des corps et l’air !

– On ne voit que peu cela
Au cul de ces deux bœufs las !
– J’ai semé du sang et fait ample
Moisson de mort et, par exemple,
Fauché tête et taillé dos,
Parfois marché sur les os !

– Dans ce rustique séjour
Et sous le joug de mes jours,
À une nouvelle vie j’ouvre
La terre près des chênes rouvres.
C’est là mes œuvres et destin.
– Quel insipide festin,

Tu manques de trempe, ami !
– Je ne n’aspire qu’aux semis
Faits à temps et n’ai bonne estime
Que pour le labeur bien fait, Lime !
– Parole de vieux débris !
– Insulte dont je me ris :

Je suis plus âgé que toi…
– Sénile mais pas matois ?!
– Mais, avec modestie, courage,
Je fais encore mon ouvrage
Quand d’autres ne parlent d’eux
Qu’au passé comme vieux ! »

© Christian Satgé – avril 2016

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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