Les réveillés – Philippe Dutailly

         Variation païenne d’un rite religieux corrézien

               

         Les rites d’autrefois faisaient, dans l’harmonie,

         Participer le peuple, souvent émerveillé,

         Aux activités joyeuses des cérémonies.

         Voici, pour mon exemple, celui des “ réveillés. ”

         Les cloches fêtaient pâques dans toute la région,

         Jésus ressuscitait dans la force de l’âge

         Mais la vieille Corrèze, outre la religion,

         Rassemblait tous ses jeunes au bar du village.

         Tandis que le curé, lui, prenait un ciboire

         Et le levait aux cieux entonnant des cantiques,

         Ils chantaient “ Jeanneton ” en se mettant à boire

         Quelques canons chargés de vertus sympathiques.

          Ils allaient ensuite chanter dans les domaines

         Des ballades chrétiennes, sur un ton hasardeux,

         “ Amis, réveillez-vous ! ” pour que les gens amènent

         Quelques litres de vin et une douzaine d’œufs.

         Les canons répétés tiraient à boulets rouges

         Sur ces jeunes visages quand arrivait le soir.

         Certains s’interrogeaient “ c’est le plafond qui bouge ? ”

         D’autres pris par le doute, préféraient se rasseoir.

         Après avoir remercié les gentils donateurs,

         Ils rentraient à la ferme pour faire l’omelette

         Et dévorer goulûment ce mets de sénateur

         Agrémenté parfois par quelques côtelettes.

         Au matin, “ Les Milladiou ” semblaient moins persuasifs

         Dans les bouches pâteuses crachant les derniers chants

         Et comme la contrée n’aimait guère les oisifs

         L’estomac en baratte, ils regagnaient leurs champs.

         On a laissé périr ces rites populaires

         Aussi leurs survivances ont le ton sentencieux,

         Comme l’épitaphe des fêtes séculaires,

         Elles accusent aigries, ce siècle prétentieux.

 

               © Philippe Dutaiily – 20 05 1993

Philippe DUTAILLY

Philippe DUTAILLY (89)

Tombé amoureux de "L'albatros" de Charles Baudelaire, poème appris lorsque j'étais 'écolier et nourri au hasard de Victor Hugo, Georges Brassens, Léo Ferré, Lamartine et beaucoup d'autres, j'ai commencé à faire rimer les mots vers l'âge de 18 ans. D'abord très inspiré par Brassens, j'ai pris, au fil du temps, mon autonomie pour en venir à des textes plus intimes qui, pour certains, servirent d'exutoire à des émotions mal vécues.

S'abonner
Me notifier pour :
guest
1 Commentaire
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
Alain Salvador
Membre
1 novembre 2022 7 h 18 min

C’était avant tout ça Philippe. Avant quoi,? Je ne sais pas mais de nos jours tout a l’air stérilisé et formaté.