Une ombre blanche dans l’obscurité d’un univers impénétrable, empreinte indélébile telle une cicatrice témoin des temps révolus.
Blêmes fantômes à l’orée des forêts semblant vouloir nous retenir dans une étroite étreinte pour ne plus jamais nous en libérer, défenseurs engloutissant dans leurs vieux troncs fendus et noueux tout être malveillant, des bûcherons assassins aux promeneurs indélicats.
Squelettes aux branches tentaculaires, gardiens d’un monde où nous ne sommes pas les bienvenus, les arbres morts veillent dans l’intention de nous effrayer pour nous dissuader d’entrer dans un sanctuaire réservé, interdit aux humains.
Ces respectueux vestiges m’ont toujours fasciné, comme des totems venus de civilisations disparues, bien plus que les majestueux hôtes des forêts par toute la force qu’impose leur présence, qui écartent leurs branches pour se donner de la place et exposent aux rayons du Soleil toute la verdure de leur frondaison pour se nourrir de leur lumière.
Ils se démarquent surtout en été, tranchant sur un vert foncé, sur les fûts bruns avoisinants, reflétant tout l’éclat de l’astre du jour qui vient frapper leurs corps gris cadavériques, dépourvus d’écorces désormais, mais toujours aussi gracieux avec leurs belles dentelles de branches exemptent de rameaux.
Si l’on ne regarde que la partie feuillue d’un arbre, tous ceux de la même essence se ressemblent plus ou moins. Mais il en est tout autrement des arbres morts… On peut alors imaginer à chacun sa personnalité, sa propre vie. Bien entendu, il faut prendre le temps de s’y attarder un instant et de bien les observer… Et de laisser libre cours à son imagination…
Ossature d’un corail géant sorti du fond des océans, voulant résister aux années qui passent encore et encore, malgré un environnement hostile d’où peut-être du haut de son faîte aperçoit-il couler une eau vagabonde ou l’écume des vagues lui rappelant un lointain passé.
Titan venu du ciel, membres décharnés par tant de pluies et de bourrasques, ne reculant jamais d’un pas sous les coups de boutoirs d’une tempête, si terrible soit-elle… Os desséchés par les brûlantes journées d’été sans la moindre ombre aux alentours pour l’abriter, seul et pourtant entouré de compagnons de haute futaie dans la force de l’âge, impuissants devant une agonie pudique, longue et silencieuse.
Soldat vétéran faisant la guerre aux siècles, ne cédant pas un centimètre carré de terrain. Le regard posé sur ses camarades de la première heure tombés au champ d’honneur, brisés, déchiquetés, troncs éventrés, gisant au sol avec pour seule protection contre les hivers rigoureux une couverture de mousse, unique souvenir d’un vert qui régulièrement pouvait passer du jaune au rouge quand l’heure de l’automne était venue.
Parfois paré d’un uniforme de lierre, comme un remerciement envers sa loyauté, ultime hommage rendu par la nature reconnaissante à ce Goliath émergeant parfois d’un parterre de hautes fougères. Sève figée dans les veines, devenu stérile après avoir tant donné, mais racines toujours aussi profondément enfouies dans un sol rassurant, encore debout, fidèle au poste.
Géant foudroyé à la cime tronquée, à l’âme brûlée, au corps déchiré. Servant de perchoir aux corbeaux aux cris lugubres qui résonnent à travers la forêt, porteurs de mauvais présages dit-on… Sur la rive d’un plan d’eau ou d’une eau courante, juchoir pour cormorans aux ailes déployées pour un séchage après plongée, telles de larges feuilles couleur ébène comme un linceul posé là pour un instant volé à l’éternité.
Empereur déchu en manteau blanc d’hermine par un matin d’hiver, médailles de glace rutilantes sous les rayons d’un Soleil réconfortant.
Entité dont seules les grosses boules de gui subsistent pour qu’elle puisse encore s’orner d’une parure d’émeraudes géantes.
Mage inquiétant qui renvoie ses ramifications vers le ciel, tels des bras levés pour une fervente prière pleine de vie et d’espoir.
Colosse déraciné, trop près d’une berge dont les crues ont raviné la terre, déjà couché sur l’onde mais désespérément agrippé au rivage par une dernière racine salvatrice et qui ne veut pas lâcher prise pour ne pas être emporté loin du pays où il est né.
Arbres qui ne verront maintenant que trop rarement un écureuil grimper à leur fût, escalader leurs branches, mais où nicheront pour très longtemps encore des oiseaux bien à l’abri dans leur tronc caverneux, où les nids énormes des grands voyageurs du ciel auront tout l’espace nécessaire pour se bâtir et s’y accrocher.D’où d’une petite fente sortiront à la nuit tombée un à un ces petits mammifères ailés pour une chasse nocturne effrénée.
La forêt est le reflet de notre société, les arbres en sont les êtres vivants. Chaque arbre a sa singularité au sein d’une espèce, et chaque essence a sa place dans son monde. Les gros étouffent les petits, c’est la loi de la nature et elle est impitoyable et irrévocable. Ils ont contre eux les parasites, les maladies… Ils se défendent comme ils le peuvent. La vie côtoie la mort, à ceci près que dans la nature la mort n’est pas dissimulée, elle est omniprésente et fait partie du décor.
Savez-vous que lorsqu’un arbre est attaqué, il génère des molécules défensives pour lui-même et en expulse dans l’air pour que ses congénères les développent à leur tour pour pouvoir lutter? Existe-t-il une certaine forme d’intelligence pour engendrer et diffuser une telle réaction chimique? Personne n’est capable à l’heure actuelle de répondre à cette question, et je pense qu’il serait prétentieux et prématuré d’essayer de le faire.
Un arbre mort est le refuge pour tout un microcosme, un abri pour des milliers d’espèces d’insectes, de petits rongeurs, d’oiseaux et de chauves-souris. Il est le support pour la prolifération d’une végétation spécifique.
Non, un arbre mort n’est jamais totalement mort, il a son utilité dans la nature, et même après plusieurs siècles sa décomposition sera l’humus d’une terre enrichie, un fabuleux héritage légué aux générations suivantes. Sommes-nous capables, nous humains, de pouvoir en dire autant…
Une très belle pensée sur les arbres. Etres grandioses qui veillent sur nous et à qui nous faisons tant de mal. Magnifique écrit.
Je trouve très élégant un arbre mort lorsqu’il est couvert de neige il offre à nos yeux une image de sérénité de paix et attend patiemment le printemps pour renaître
comme tout humain qui perd son image extérieure en fin de vie pour laisser place à la beauté de son âme !
merci pour ce texte poétique magnifique !