Petite fable affable 
En forêt, chevreuils et daims polémiquaient. 
Les premiers tenaient, avec dédain, que harde 
Est mieux sans un chef pour la cornaquer ; 
Les seconds prétendaient qu’idée si jobarde 
Ne pouvait accoucher que de grands malheurs. 
Le débat tournait à la dispute, aux heurts,… 
Car on sait rester civil quand on discute 
En nos jolis bois et tout aussi courtois 
Que l’homme des villes quand il persécute 
De ses idées qui n’est à tu et à toi 
Avec lui. Ainsi va le monde animal 
Quand il est, ma foi, on ne peut plus normal ! 
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 Rien ne rapprochait ces deux bandes d’apôtres 
Mais la chasse mit un terme aux vains discours 
Des uns, forts sûrs de leur fait, comme des autres 
Certains de l’erreur de ceux-ci… Faisons court. 
Chaque troupe, aussitôt, de son côté, s’égaille 
Pour fuir la mort qui, par tout le bois, vous daille. 
Les chevreuils s’éparpillaient à tous vents, 
Se gênant, se bousculant,… Cibles faciles ; 
Les daims suivirent leur guide, droit devant, 
Sur un rang. Disciplinés. Proies imbéciles. 
Chaque groupe y perdit autant des siens. 
Cruelle égalité face aux balles et aux chiens. 
Et, trois jours plus tard, dans une clairière,  
Quand nos deux bandes se trouvent à nouveau, 
C’est pour reprendre leur discussion. Fière 
Rencontre que celle de ces grands rivaux 
Pareillement décimés. Les chevreuils arguent 
Pourtant que leur bonne anarchie, toujours, nargue  
L’ennemi, le déroute et préserve, au moins, 
La moitié d’entre eux ; les daims, eux, affirment 
Que leur organisation, très au point,  
Fait qu’ils ne perdent, valides et infirmes, 
Que cinquante pour cent des leurs. Résultat : 
Chacun reste sur ses positions. Là ! 
Et pas une larme versée pour les bêtes 
Qui ne sont, las, plus là pour s’en faire fête. 
La vanité se nourrit de tout à l’excès : 
D’un demi échec ou d’un terne succès, 
Elle se repait toute aussi satisfaite 
Que de victoire, sans s’en faire procès. 
 
© Christian Satgé – avril 2018 
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