– Ce que je lui ai dit –
Ce que j’ai dit à Anne Bourgeois.
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Je lui ai raconté que par exemple à la Fac de Sciences, à Jussieu il y avait un gars un peu grande gueule qui donnait parfois de grandes claques dans le dos. Un peu à tout le monde, mais surtout aux plus fragiles et qui se moquait pas mal de certains en leur faisant des mauvaises blagues. Un jour dans l’amphi après un cours, il n’y avait plus grand monde. J’étais resté tout seul dans mon allée en tiers de moitié de cercle, et orientée vers le bas et le centre. Le gars est avec son copain, comme son ombre qui ne le quitte jamais d’une semelle. Et qui rit fort à ses sales blagues. Ils sont juste au dessus de moi. Je commence à partir et je les vois. Le gars, il tient entre les mains un gros stylo plume métallique et doré. Probablement des carats. Doré, de l’or. Vu la façon dont il est habillé le gars, il y a de l’argent chez lui. Pas mal d’argent. Il fait tomber son bouchon par mégarde. Il tombe tout de suite et descend par terre sous eux dans ma rangée. Je regarde le bouchon par terre. Je vois qu’il y en a d’autres.
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Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais ça s’est passé super vite, en à peine un quart de seconde, j’avais réagi et décidé de faire quelque chose. Ça a été beaucoup plus fort que moi. Des fois on ne sait pas trop pourquoi on fait les choses.
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Je les regarde, je regarde le bouchon, je les regarde et je pars hyper vite comme un petit toutou qui part à la recherche de son nonosse. Et pas loin d’avoir la queue qui bat. Content le toutou, c’est pour jouer. et je reviens tout de suite, tout frétillant, tout content vers lui. Et je lui tend bien haut la main droite. Tout ça s’est fait hyper rapidement. C’en est presque anormal. Au bout de mes doigts je lui tend un bouchon.
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C’est un gros bouchon en plastique blanc. Je suis avec le petit sourire du gars qu’est bien content de lui et avec un air un peu bête et qui regarde son maître en attendant qu’il lui dise merci.
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Vu aussi le bruit que le bouchon a fait en tombant, ça ne peut pas être son bouchon. Il regarde le bouchon dans ma main. Il me regarde. Moi je suis resté pareil, tout le temps pareil. Je le regarde toujours sans bouger. Je suis toujours la main tendue vers lui avec le bouchon entre les doigts et toujours avec le petit sourire et avec l’air un peu bête du gars qu’est tout content de lui, qui croit bien faire et qui le regarde .
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L’autre, il me regarde aussi. Le gars, il se tourne alors lentement vers son pote sur sa gauche et lui fait : « Tu vois il est encore plus con que je pensais. » et tout ça sans rien dire. Rien. Aucun mot. Le silence. Le gars se tourne vers moi. Il veut dire quelque chose. Il voit le bouchon. Il est surpris. Le bouchon, il a changé. Ce n’est plus le même. Je n’ai pas bougé d’un pouce mais maintenant entre les doigts, c’est son bouchon métallique et doré que je lui tend.. Toujours sans bouger. Toujours le bras tendu. Le même sourire.
Il regarde le bouchon, il me regarde, je ne bouge pas d’un pouce. Et le regarde sans sourciller. Il regarde à nouveau le bouchon et je le vois partir tout seul dans un grand voyage dans sa tête.
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Son pote aussi, il est parti. Je vois que beaucoup de choses sont en train de bouger dans le mental. L’autre aussi ça bouge tout seul. Ça dure son moment. Un petit moment. Puis le gars, il revient et il me regarde à nouveau.
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Ce n’est plus pareil. Ça a changé. Il a changé. Tout à changé. Rien ne se dit toujours. J’ai maintenant aux coins des lèvres mon véritable petit sourire naturel et là je suis vraiment content. Super content. Pas fier non plus, juste content. Super content. Toujours pas de mot. Il n’y a pas grand-chose à dire. Il prend son bouchon, que je lui tend toujours et, il me dit merci. Je pars alors sans rien dire. Je les laisse là. Je suis super content de moi d’avoir pu faire ça. Il n’y a eu aucune parole à part ce merci, et je trouve que c’est une belle histoire ce que je lui ai raconté. A lui et à son ombre. Et je sors alors doucement de l’amphi pour m’en aller dehors. Respirer. Un grand moment. Il va me rester toute ma vie.
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J’adore le jeu. Et jouer. Jouer avec les rapports déséquilibrés. Jouer pour exprimer des idées, des pensées. Certains sujets. Pour exposer ou pour défendre certaines valeurs. C’est ce que j’ai dit à Anne Bourgeois. Elle était venue me voir en privé dans un lieu que j’avais, et avec une belle petite salle de 32 places. C’était pour que je lui montre un numéro. Elle m’avait demandé la raison essentielle que j’avais pour vouloir faire du spectacle. Je lui ai raconté cette histoire. Et je lui ai dit que j’adorais faire du jeu. Pour faire passer des messages. Des messages positifs et porteurs.
Bienvenue ❤️
Marco O’ Chapeau le 7 novembre 2021. C’est la Sainte Carine.
Et c’est la première fois que je couche cette histoire sur le papier. Une histoire vraie.
La lecture de cette histoire m’a plu.
Merci Marco ! qu’est ce qui a le plus de valeur dans ton histoire ? le bouchon du stylo ou le merci du gars ? pour toi qu’elle est la moralité de ton histoire ?…il est évident que j’ai une petite idée des réponses, c’est simplement pour développer…