Moi qui étais craint, aimé et respecté par tout mon royaume, je me suis retrouvé piégé par un esclave noir qui m’a volé ma précieuse épouse. Cet esclave m’a contraint d’ordonner leurs deux mises à mort par mon servile vizir et de commander les services de belles et jeunes vierges pour meubler mes nuits.
Je me sens à présent doublement victime de cet esclave à la peau d’ébène me retrouvant obligé de me rendre dépendant de femmes pour lesquelles je n’éprouve aucune affection et qui n’étaient rien pour moi, des jeunettes que de devais faire mettre à mort par mon stupide subalterne sans l’ombre d’un remord.
La pire de toutes était cette Shéhérazade qui non seulement sait satisfaire les désirs de tous mes sens, mais qui, en même temps, me raconte des légendes qui m’avaient été cachées jusque-là, pucelle que je dois remercier en la satisfaisant tout en subissant en boucle ses récits dans ma tête au point de me faire perdre tout contrôle de moi-même, me faisant ainsi courir le risque de l’engrosser, ce qui, cette fois, serait comme la triple vengeance de mon noirâtre détourneur d’épouse.
Cette Shéhérazade parvient à me faire croire qu’elle ne pourra jamais se taire et que, de ce fait, je ne pourrais plus rien penser de cruel, ce qui renterait en collision avec ce monde féérique qu’elle tisse comme une toile autour de mes yeux et de mes oreilles. Ne doit-on pas voir en elle une diablesse qui, par sa parole incessante, m’envoute par un sortilège m’obligeant à renier le protocole du jeu mortifère de ma cour à l’égard des vierges offertes en pâture à leur souverain ?
Lui demander de se taire serait lui avouer ma faiblesse, lui laisser deviner que son emprise maléfique tient entre ses lèvres ma liberté de la faire taire. Prisonnier d’un noir dilemme, j’en viens à faire passer de l’une à l’autre de mes mains une boule de vermeille incarnant les deux pendants de l’alternative dans laquelle elle m’a piégé : main gauche elle me fascine, main droite je l’assassine.
Je fais passer des nuits entières cette boule d’une main à l’autre jusqu’à ce que cette maudite sorcière s’en saisisse en plein élan pour la faire rouler sous mon lit sous lequel il n’est pas question que je descende pour m’y humilier stupidement.
Shéhérazade se joue de moi comme le fait ma boule de vermeille, l’une ne voulant ni se taire ni me laisser la trucider, l’autre refusant de rester dans ma main droite ou dans ma main gauche. Je suis devenu le jouet d’une femme habitée par le démon de la logorrhée.
Ce que je me refuse d’admettre, c’est que ce ne soit pas d’elle que mon colosse d’ébène se toit entiché, ce qui m’aurait donné la liesse de les faire jeter tous deux au feu dans un crépitement qui aurait ressemblé au babil maléfique que je dois supporter toutes les nuits en me retenant de m’endormir pour n’en rien rater.
Je crois que quelle que soit la forme que prendra la fin de cet épisode de ma courte vie, quelle que soit ma sentence, je tiendrai les vierges en horreur car toutes me rappelleront Shéhérazade
Un choix risqué, aux conséquences pouvant être désastreuses ! Merci pour ce partage où le sultan mal inspiré risque de ne plus rien espérer !