Le monologue du sultan des mille et une nuits – Jean-Marie Audrain

Moi qui étais craint, aimé et respecté par tout mon royaume, je me suis retrouvé piégé par un esclave noir qui m’a volé ma précieuse épouse. Cet esclave m’a contraint d’ordonner leurs deux mises à mort par mon servile vizir et de commander les services de belles et jeunes vierges pour meubler mes nuits.

Je me sens à présent doublement victime de cet esclave à la peau d’ébène me retrouvant obligé de me rendre dépendant de femmes pour lesquelles je n’éprouve aucune affection et qui n’étaient rien pour moi, des jeunettes que de devais faire mettre à mort par mon stupide subalterne sans l’ombre d’un remord.

La pire de toutes était cette Shéhérazade qui non seulement sait satisfaire les désirs de tous mes sens, mais qui, en même temps, me raconte des légendes qui m’avaient été cachées jusque-là, pucelle que je dois remercier en la satisfaisant tout en subissant en boucle ses récits dans ma tête au point de me faire perdre tout contrôle de moi-même, me faisant ainsi courir le risque de l’engrosser, ce qui, cette fois, serait comme la triple vengeance de mon noirâtre détourneur d’épouse.

Cette Shéhérazade parvient à me faire croire qu’elle ne pourra jamais se taire et que, de ce fait, je ne pourrais plus rien penser de cruel, ce qui renterait en collision avec ce monde féérique qu’elle tisse comme une toile autour de mes yeux et de mes oreilles. Ne doit-on pas voir en elle une diablesse qui, par sa parole incessante, m’envoute par un sortilège m’obligeant à renier le protocole du jeu mortifère de ma cour à l’égard des vierges offertes en pâture à leur souverain ?

Lui demander de se taire serait lui avouer ma faiblesse, lui laisser deviner que son emprise maléfique tient entre ses lèvres ma liberté de la faire taire. Prisonnier d’un noir dilemme, j’en viens à faire passer de l’une à l’autre de mes mains  une boule de vermeille incarnant les deux pendants de l’alternative dans laquelle elle m’a piégé : main gauche elle me fascine, main droite je l’assassine.

Je fais passer des nuits entières cette boule d’une main à l’autre jusqu’à ce que cette maudite sorcière s’en saisisse en plein élan pour la faire rouler sous mon lit sous lequel il n’est pas question que je descende pour m’y humilier stupidement.

Shéhérazade se joue de moi comme le fait ma boule de vermeille, l’une ne voulant ni se taire ni me laisser la trucider, l’autre refusant de rester dans ma main droite ou dans ma main gauche. Je suis devenu le jouet d’une femme habitée par le démon de la logorrhée.

Ce que je me refuse d’admettre, c’est que ce ne soit pas d’elle que mon colosse d’ébène se toit entiché, ce qui m’aurait donné la liesse de les faire jeter tous deux au feu dans un crépitement qui aurait ressemblé au babil maléfique que je dois supporter toutes les nuits en me retenant de m’endormir pour n’en rien rater.

Je crois que quelle que soit la forme que prendra la fin de cet épisode de ma courte vie, quelle que soit ma sentence, je tiendrai les vierges en horreur car toutes me rappelleront Shéhérazade

 

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Jean-Marie Audrain (733)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial. Malgré tout il vient d'autoéditer le florilège de toute en vie et dans tous les syles : https://www.amazon.fr/Petit-Prince-Mots-dit/dp/B0BFVZGNYM et d'écrire des chansons pour 3 CD d'Ophélie Morival (puis pour d'autres voix amies) : https://www.youtube.com/watch?v=Q0bvWkljrlw.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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Brahim Boumedien
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18 décembre 2024 19 h 49 min

Un choix risqué, aux conséquences pouvant être désastreuses ! Merci pour ce partage où le sultan mal inspiré risque de ne plus rien espérer !