La Tante Annie – Arnaud Mattei

La tante Annie

Puisse sa famille m’accorder ces quelques rimes

 

Après les leudes, bravant le vent, si tôt levée,

Elle va. Vers son jardin par la rue de la corvée.

Elle est jeune, elle est forte des espoirs remplis,

Bécher, racler, biner, pour deux fils et un mari.

                                   

Tous les jours, qu’importe le temps, elle se doit

Contre la cardamine les chardons, le mouron,

De lutter pour quelques radis, quelques potirons

Pour elle, sa famille, une bonne soupe, un repas.

                                   

Gestuelle de sa mère et par la mère de sa mère

Apprise. L’ancestral héritage de l’écot à la vie,

Puise ses racines profondes dans cette terre,

Qui dans l’immuable l’appelle. Elle la remercie

                                   

Le soir, les vêpres rappelés par les cloches,

Dieu n’attend pas et, le curé encore moins,

Pour aller prier, au logis elle pose ses pioches,

Avec d’autres femmes, des enfants, le sacristain.

                                   

Après les leudes bravant le vent, le dos courbé,

Elle va. Dans son jardin par la rue de la corvée.

Lasse, elle soupire, il est parti. Plus de chéri !

Plus dure sera cette vie rude à passer loin de lui.

                                   

Dans le sillon tracé, elle plante la semence divine,

Miraculeux recommencement, quand la vie revit.

De la rouge betterave aux sombres aubergines,

Elle comblera les siens, ses enfants, toute sa fratrie.

                                   

Pas de vêpres ce soir, celui d’en haut pardonnera.

Sur sa tombe, elle ira mettre ces quelques fleurs,

Fraîchement coupées, des roses, des tulipes fuchsia

En souvenir des jours heureux, des jours bonheur.

                                   

Chaque matin sous l’assaut du vent, le dos cassé,

Elle va. Vers son jardin, par la rue de la corvée,

Pour quelques légumes, bêcher, piocher, ramasser,

Maigre pitance d’un pénible labeur pourtant aimé !

                                   

Malgré le malheur, de deux fils happés par la vie,

Elle fulmine, elle peste, contre l’absence cruelle,                           

Elle se révolte, et s’acharne sur la vivace brunelle,

Qu’elle arrache de sa douleur. Elle se sent maudit !                                  

                                   

Une descendance en descendance de sa chaire,

Graines plantées de l’éternel recommencement !                           

Car la vie continue pour les siens au printemps,

Au jardin, elle s’en ira, bravant l’assaut du temps

                                   

Contraire où s’égrènent ses plus doux souvenirs.

Au pied de l’église en ce village qui l’a vu grandir,

Seule, elle maugère, elle vocifère, le dos voûté,

Plus de leudes, plus de vêpres, plus de corvées !

                                   

Sur le pas de sa porte, elle écoute les heures,

Des cloches qui sonnent l’aurore de ses nuits,

De sa destinée, de ses joies, de ses malheurs.

Là-bas, repose-toi la tante Annie de mes amis !

 

Arnaud Mattei, le 24 Janvier 2021

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Les poèmes sont cent, ils sont mille, ils sont uniques. Ils sont de toutes les cultures, de toutes les civilisations. Ils sont odes, ils sont sonnets, ils sont ballades. Ils sont vers, ils sont rimes, ils sont proses. Ils sont le moi, ils sont l’émoi. Ils chantent l’amour, ils disent nos peines, ils décrivent nos joies. Ils ont la force de nos certitudes, ils accompagnent nos doutes. Ils sont ceux de l’enfance, ils traversent le temps, car ils sont le temps. Ils ont la pudeur de la plume, la force d’un battement d’ailes. Ils sont ceux qui restent, ils prennent la couleur de l’encre sur le papier, sombres clairs, multicolores.
Alors ces quelques mots pour la souffrance de les écrire, pour le bonheur de les dire, pour la joie de les partager.
Des quelques poésies de mon adolescence retrouvées dans un cahier aux pages jaunies, d’un diplôme jadis gagné à un concours à mes presque soixante ans, il se sera passé un long moment de silence, une absence que le vide du temps ne saurait combler. Je crois avoir fait de ma vie, une vie simple et belle avec ceux que j’aime. Pendant ces quelques décennies, les mots sont restés au plus profond de moi.
Aurai-je la force de les dire, saurai-je être persévérant pour les écrire ? Et vous, les écouterez-vous ? Peut-être aujourd’hui, peut-être demain, peut-être maintenant, qui sait….

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2 Commentaires
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Alain Salvador
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24 janvier 2021 11 h 59 min

Toujours de beaux souvenirs…