Soleil Totémique – Abdelkader Ferhi

Préface

Durant près d’un siècle et demi, l’Algérie s’est repliée sur elle-même prisonnière des limites qui lui sont imposées par la colonisation. Dans ce pays séparé du reste du monde par l’épaisseur d’un temps mort ce fut l’intrusion de l’histoire avec ce qu’elle transporte comme exigences. Des barrages ont sauté, les remparts et les grandes portes verrouillées sont tombés avec fracas.
Le monde littéraire sorti d’un immobilisme plus que séculaire était devenu, intensément créateur. La poésie, composante essentielle de ce monde, s’est elle aussi mise en mouvement. Et le poète, s’est employé avec force à découvrir un nouveau langage, à formuler de neuves réalités. Avec lui, le poète descend sur les lieux même des combats.
Les poètes de notre génération mesurent eux aussi l’ampleur du poème. Cette arme porteuse d’espoir n’est pourtant que la mise en mots d’une réalité quotidienne faite de vérités simples, de blessures retrouvées, d’exigences pour l’avenir. La nouvelle poésie s’essaye à donner une nouvelle vigueur, à insuffler une nouvelle vie à la littérature algérienne
en faisant éclater le cadre étroit de son évolution récente, en la faisant sortir de ses clichés stéréotypés, stériles et aliénants. Cette poésie qui se veut avant tout mouvement, recherche, refus de toutes formes d’oppression, dit le mal d’être et tous les manques qui mutilent l’homme. Le poète de la nouvelle génération qui s’annonce, se perd le long d’un espace aveugle tressé de couloirs vides, de portes closes. Il fait éclater les carcans de l’expression pour traduire avec plus de justesse nos certitudes, nos délires, nos besoins, nos attentes, … échapper aux mensonges de la mémoire-suicide. La poésie d’Abdelkader Ferhi s’efforce de quitter le royaume des ombres profanes pour devenir totalité organique, poèmes vivant de la condition de l’homme, de l’homme interrogateur au seuil d’un nouveau devenir enraciné dans la réalité de la parole, arraché aux profondeurs du Silence et d’une longue absence.
L’ambition du poète, n’est-elle pas justement de chercher un chemin hors du vide, de conjurer les regards argileux, de secouer la nature marquée d’insomnie et les corps démembrés et de dissoudre les senteurs d’épaves ?
Chez Abdelkader Ferhi, les mots ne sont pas alourdis sous le poids du passé, se sont surchargés de pleurs retenus, d’angoisses, de haines désamorcées. Blessés, ils blessent. Les alternances de lumière et d’ombre, de soleil et de pluie se déroulent en un souvenir vertigineux où le passé-présent accroche, ébranle, écorche le coeur du poète où se greffe un univers mystérieux, mystique qui mêle sang et terre, nuit et soleil, mer et désert. Le poète représente en une suite de visions permanentes et toujours recommencées des silhouettes à peine apparentes, toujours pressées, à la recherche d’un infini fugitif, emmurées entre le rêve et la veille.

En littérature comme en toute chose, le silence est une traîtrise, un péril menaçant l’espérance. Et Abdelkader Ferhi sait qu’il est plus qu’urgent de libérer les corps de l’aphasie, d’arracher la parole au paysage aride du quotidien, de dépoussiérer l’aube du mauvais présage, de dérailler les attentes de la longue nuit… donc revendiquer la parole forcément tapageuse, porteuse d’indicibles blessures et de fulgurantes lumières pour économiser les énergies à ne pas combattre les vents.
Pour atteindre aux cimes du futur, Ferhi délaisse un quotidien habité de colères passagères, renie la résurrection des héroïsmes anachroniques. Amplifiant l’écho des tempêtes solaires brandissant le poème comme un défi aux nuits sans tendresse, Ferhi s’efforce de tenir tête aux tambours insomniaques des faiseurs de déluges et des sculpteurs de ruines, répondre présent contre le désespoir, éclater de colères longtemps retenues, balayer les nuits froides de la réclusion, la nuit complice des tortionnaires, dévier la furie de l’écume dévastatrice, éloigner le retour des brasiers d’enfer, faire héritage d’espérance et de rêves. Bannir les jours sans légendes, et imposer le droit à la parole pour les offensés. Le poète, las de blessures et des bouches closes de silence, se souvient des voyages en vertige de paysages, des escales en attente de remparts, du passage des caravanes en quête de germinations nouvelles, au-delà des moissons de pleurs, de sueurs et de sang.
Lorsque le poète en transhumance s’arme de verbe démentiel, il est alors enfant échappé à l’errance et au délire cicatriciel. Cet univers de déchirures solaires, de fulgurances d’étoiles, de vents contraires… ensemence la parole du refus.

La pratique de l’écriture est ici ouverture sur la vie, explosion par laquelle l’inconnu se fait texte. A cette étape, en décrivant un univers à deux faces, Abdelkader Ferhi choisit un langage de contestation pour conjurer les amours pluriels, les souffrances de la terre inféconde, les chairs inhospitalières, les visages d’exil, les migrations d’amour, l’enfance dévoyée, et empêcher que le soleil totémique ne s’éteigne dans les poitrine-cicatrices. Une enfilade de mots et d’images, de sons et de couleurs qui, si elle peut paraître à priori impudique sous la plume d’un poète peintre, n’en laisse pas moins deviner une sensibilité et un esprit de méditation qui présagent des accents nouveaux à la littérature algérienne. Ces poèmes s’ouvrent non pas sur un moment mais sur un abîme de douleurs et de tendresse…
Ayyagoune-Djerbib Kaci.

Patrie plurielle

Terre
qui s’étend à l’infini dans le regard
de chacun
dans la fertilité de chaque main
Terre
au ventre fécond
au corps décharné
enchaîné
dépecé
jusqu’aux os
par les mâchoires acérées
de l’Histoire
je te porte glaise glorieuse
comme une clarté après l’orage
comme l’éclaboussure
de paroles prometteuses
sur la page
comme un écho qui vrille
dans les oreilles
comme le Vol salvateur
d’une poignée d’étoiles

comme un Salut sonore
sur les lèvres vespérales
comme la première salve
déchirant les nuits nuptiales
aujourd’hui unis
jusqu’au moindre souffle
jusqu’au moindre rayon
nous brandissons ensemble
nos langues
nos muscles
nos armes
nos volontés
pour éteindre nos conflits
défendre notre Continent
éradiquer nos maux
réécrire notre Histoire
bâtir avec foi notre Afrique
ma Terre
ma Patrie
Matrice
de toutes les Civilisations
de l’Humanité
Tu es et tu demeures encore
la fleur qui respire
la rosée de l’Espoir
tu es et tu demeures encore
le grondement
d’un Sang Neuf

dans les veines de l’avenir
Peuples en incandescence
forgés dans l’expérience
Peuples rassemblant leurs forces
pour arracher leurs Rêves
leur Souveraineté
leur Espérance
ma Terre
ma Patrie toujours souriante
malgré tes déchirures
tes fractures
et tes douleurs
comme une métaphore
dans la brisure du Ciel
je te veux Eau sonore dans notre trachée-artère
je te veux Vibration d’un soleil sous les paupières
je te veux Virginité de Femme enceinte d’Espoir
je te veux Clarté d’un Coeur regorgeant d’Amour
je te veux Respiration d’un Océan au-delà des frontières
je te veux Puissance des Doigts tressés
tissant la Victoire.

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Abdelkader Ferhi

Abdelkader Ferhi (16)

Abdelkader Ferhi est né le 30 janvier 1951 à Tipaza. Il a fait ses études primaires et moyennes dans sa ville natale, secondaires au lycée Ibnou-Rochd de Blida et supérieures à l’université d’Alger. Titulaire d’une licence en lettres françaises, il a enseigné de 1976 à 2011 au lycée Mohamed Rékaizi puis Taleb Abderrahmane de Hadjout. Il a été aussi chargé de l’encadrement des professeurs du moyen à l’Université de Formation Continue. Abdelkader Ferhi a commencé depuis 1972 à publier des poèmes dans des anthologies de prestige et à collaborer aux journaux nationaux et étrangers. Aujourd’hui retraité, il se consacre pleinement à l’écriture littéraire. L’auteur de « Soleil Totémique » est connu du public Algérien par ses poèmes publiés dans des anthologies, ses contributions à la culture et ses articles de presse.

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4 Commentaires
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Plume de Poète
Administrateur
27 août 2017 6 h 43 min

Félicitations pour votre ouvrage Abdelkader !
Merci pour vos partages et bonne continuation.
Bien à vous,
Alain