Peut-être m’avez-vous rencontré autrefois avec mon ami Paul ? Nous ne passions pas inaperçus : non seulement il me dépassait d’une tête, mais c’était le seul homme-tronc avec qui j’étais en cheville. Nous nous sommes connus à l’armée. Il avait eu beau faire des pieds et des mains pour en être exempté, on refusa de le réformer pour raisons administratives… des pièces lui manquaient. Par taquinerie, les bidasses l’avaient surnommé Paul-tronc.
Pour couper court à toute rumeur de piston, Paul voulu montrer qu’il restait quelqu’un d’entier. Ayant débuté comme éclaireur en rase campagne, il gagna ses galons à la force du poignet et à l’huile de coude jusqu’à devenir bras droit du chef des armées, où, là, il refusa de manier la langue de bois comme ses confrères pour ne faire de l’ombre à personne.
Sitôt la quille, il désira trouver chaussure à son pied.
La première fois qu’il mit les pieds au Handi-Bal, le groupe des Troncs Sonneurs y jouait du Jacques Dutronc. Une femme qui ne le laissait pas de bois lui offrit un demi avant qu’il demande la main à celle qui allait devenir sa moitié. Ils s’entendaient mi-figue, mi-raisin, surtout que cette femme-tronc, toujours levée du pied gauche,
voulut le faire marcher à la baguette et lui, pauvre Paul, ne mangeait pas de ce pain là !
Il dut mettre les poings sur la table pour montrer qui était le patron. Mais elle n’a pas accepté de ne plus tenir le manche.
Du coup, sa moitié a coupé court et s’est sauvé par le premier car …avec un tiers.
Il ne songea même pas à ce qu’elle puisse faire demi-tour car il en avait plein les bras et accepta de couper les ponts.
N’étant pas du genre à se tourner les pouces, il se mit en quête d’un emploi.
A l’ANPE, on lui tendit des feuilles afin qu’il y rédige son parcours en raccourci, ainsi que la branche dans laquelle il voulait postuler.
« Bac moins un ? C’est un peu court jeune homme » lui répondit-on !
« Vous ne pourrez pas décrocher un poste au pied levé. Cela dit, une carrière de scieur de long pourrait vous tendre les bras, mais il faudrait alors songer à vous recycler »
Se recycler ? Cela lui ferait une belle jambe, parce qu’un travail pour cul de jatte et manchot, ça ne court pas les rues !
Malgré tout, il se décarcassa jusqu’à la moelle pour essayer de décrocher un job à sa pointure.
Ne suffisait-il pas, finalement, de frapper à la bonne porte ?
Avec ses allocations, il put s’acheter une vieille 2 pattes de seconde main.
Étant tout feu tout flamme, il ne tarda pas à griller un feu rouge.
Un képi le siffla et lui cria « Revenez sur vos pas immédiatement,
ou vous allez voir de quel bois je me chauffe », et notre homme-tronc de se retrouver en tôle avec l’étiquette « chauffard » qui lui collerait aux semelles. Il venait de brûler sa dernière cartouche.
Plus tard, lui qui ne se laissait jamais marcher sur les pieds, se retrouva planté à la sortie des églises, à faire la manche.
Devant l’une d’entre-elles, il finit même par prendre racine. Hélas, de dimanche en dimanche, il se faisait racketter à tour de bras par des pilleurs de tronc. Cela lui coupa non seulement les vivres, mais aussi le moral.
On le vit diminuer à petit feu, puis s’éteindre discrètement.
Ainsi s’acheva la courte vie de feu l’homme tronc, un pauvre bougre déraciné à qui personne n’a voulu tendre la main
pour le faire repartir du bon pied
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Que dire de cette histoire “à vous couper les pattes” ? En tout cas, vos jeux de mots sont meilleurs que les miens. Merci.