Mon parachutage sur le lycée des poules : Mes seconde et première A – Tome XII – Jean-Marie Audrain

XII – Mon parachutage sur le lycée des poules : Mes seconde et première A

Durant toute la troisième grenat, nos professeurs nous avaient demandé de bien choisir notre filière pour le lycée, la grande dichotomie étant A (seconde littéraire) ou C (seconde mathématiques).

On nous parlait si peu des B et des D que ces deux options étaient perçues comme des voies de garage pour ceux qui n’étaient pas admissibles dans les deux voies royales. Un certain mauvais esprit planait même sur le collège Sainte Marie de l’époque : point de salut hors les maths, donc les meilleurs passeront en C et les autres iront se faire voir ailleurs.

Pour moi, c’est comme si mon ailleurs m’avait choisi. J’étais le meilleur en Français, en Langues et en Histoire-Géographie, donc un virage littéraire s’est imposé de lui-même. Et la grande nouveauté allait s’avérer double : Les A et les B allaient rejoindre quelques centaines de mètre plus bas dans le même quartier ce qu’on appelait l’Ecole La Croix d’Antony réservée jusque là aux « demoiselles ».

N’ayant connu que des « jeunes gens » depuis la maternelle, ça allait être la révolution sexuée voire sexuelle. J’avoue que je n’avais aucune idée de la manière d’approcher les poules et de rentrer dans leur petit monde. A part sur le fait qu’elle ne portaient pas de pantalons, je ne pouvais pas dire grand-chose de la gente féminine n’ayant approché que ma mère, ma grand-mère et ma voisine Corinne, mais elle je savais que c’était, aux dires de sa maman, un garçon manqué.

A l’immense bâtiment tout neuf de 7 étages succéda une ancienne bâtisse qui peinait à laisser apercevoir ses deux étages derrière le mur qui la séparait de la rue Auguste Mounié après que le regard ait traversé la rangée d’arbres de la cour d’entrée. Tout le personnel en était exclusivement féminin, à commencer par Mère Delval qui dirigeait tout l’établissement de la maternelle à la terminale. La cour avant était celle des « petits », la nôtre se trouvait par derrière et sur le côté nous pouvions apercevoir au travers d’un grillage celle des collégiennes. Le clapier des poules en d’autres termes.

A peine arrivé je n’ai pu m’empêcher de constater deux choses : la majorité de mes copains étaient resté dans les bâtiments de Saint Marie en section C ou D. Il n’y avait que de nouvelles têtes et surtout de nouveaux vêtements : ceux des filles. Au premier regard, j’ai tout de suite pu constater une différence de gabarit et d’accoutrement ; d’un côté Patricia, une adorable petite brune en ciré jaune qui cachait un chemisier aux jolies couleurs, et de l’autre Isabelle une géante habillée en noir et gris, avec toujours son casque de moto, gris lui aussi, sous le bras. Je dois avouer qu’il ne me reste guère de souvenir en dehors de ces deux extrêmes. Il me semble que tous les autres étaient des garçons. Souvent nous chahutions avec le casque d’Isabelle nous le passant de mains en mains. Un jour celle-ci prétendit que nous l’avions rendu hors d’usage en le faisant tomber par terre et que chaque garçon devait lui apporter 50 francs afin qu’elle s’en achète un neuf, faute de quoi elle irait se plaindre auprès de mère Delval. Nous avons tous du demander 50 francs à nos parents prétextant je ne sais quel achat impéré de fournitures scolaires.

Vous vous attendez peut-être à ce que je vous raconte mes années de lycée mixte comme des années de conquêtes, mais la seule chose que je convoitait était le bac Français au sortir de la classe de Première. J’ai passé toutes mes années de lycées à préparer des rédactions sans fin et des devoirs d’Histoire-Géographie tous les soirs et tous mes week-end. j’avais, de ce fait, dû abandonner le père Giraud et ses Petits Chanteurs de Sainte Marie. Ma classe de seconde fut donc une année d’acclimatation : apprendre à travailler à plein régime sans trop perdre de temps à regarder ces nouvelles venues qui, pour moi, vivaient encore dans un autre monde.

Je retiens des anecdotes vécues hors la classe avec mon seul ami m’ayant suivi depuis le collège : Joel Alexia. Je connaissais toute sa famille, des martiniquais très pieux, qui avaient donné à tous ses garçons des prénoms commençant par J comme Jésus : Joel, Jocelyn, Jean-Marc etc.

Cette année là passait à la radio Love like a man joué à la guitare par Alvin Lee le guitariste du groupe Ten Years After, titre phare de l’album SSSSH. Il s’agissait d’un thème de guitare de 4 notes jouées en boucle sur les cordes graves. Comme à la Croix régnait une atmosphère de grande liberté, je n’hésitais pas à venir en classe avec ma guitare. Un jour, je me suis assis sur une marche de la cour avec Joel et ma guitare et j’ai mis sur ce thème les paroles ‘C’est la saison des artichauts bretons ». D’autres copains se sont approchés en reconnaissant le thème, mais pas les paroles. Ensuite j’ai débridé mon imagination et avec la complicité de Joel on s’est mis à improviser paroles et musique. La chanson donnait cela : Mangez des artichauts mais surtout pas des pruneaux. Mangez de artichauts mais retirez le noyau... ».

A partir de ce jour là, ma vie a suivi un autre cour : j’avais envie de composer , de chanter et de jouer de la musique avec mes copains de lycée. Seulement, après les cours, Joel et les autres copains allaient au café et moi je rentrais jouer de la musique dans ma « chambre de musique » chez ma grand-mère deux étages au dessous de l’appartement de mes parents. Je n’ai jamais compris ce qu’il y avait de passionnant à aller boire et fumer au café des sports en bas de la rue Mounié, surtout qu’il n’y avait même pas de piano. Peu importe, le projet prendra corps un peu plus tard avec mes copains de la résidence à qui j’appris à jouer de tel et tel instrument.

Je n’oublierai jamais un exposé que j’avais choisi sur le thème : Les arts au siècle du Roi Soleil.

J’avais non seulement réunis tous les textes et les images incontournables pour illustrer cette période, mais j’avais passé la moitié de ma nuit à réalise sur cassette un montage des passages clefs des illustres Lully, Rameau et autres Delalande et j’avais apporté pour ce faire mon lecteur de cassettes avec deux enceintes. A la fin de mon exposé, les copains m’ont applaudi, mais pas la prof qui m’a dit « Audrain, vous mets quand même 15 mais juste à cause de la musique ». Je n’ai plus jamais été volontaire pour proposer un exposé avec cette professeure.

L’année de seconde passa très vite et je me retrouvai en classe de première avec les mêmes professeures (comme on dit aujourd’hui). La matière principale était bien évidemment le Français car le « bac Français » nous attendait au mois de Juin. Notre prof de Français nous dicta toute une liste de livres à acheter et à lire. Cela sonnait presque comme une formule magique ou une recette de cuisine avec un tas de noms que nous ne connaissions pas au point que nous confondions les auteurs et les personnages de romans. On ne savait plus qui étaient Gaudot qu’il fallait attendre, pas plus que Bouvard et Pécuchet. Quand on a demandé qui étaient ces deux auteurs, notre prof nous a répondu « Mais voyons, il s’agit du roman inachevé de l’auteur de Madame Bovary ». Personne n’a osé demandé ce qu’avait écrit cette madame Bovary. On débarquait tous dans un autre univers hyper littéraire. Je me souviens que nous pouvions rester deux heures (durée d’un cours de Français) à tourner dans tous les sens un paragraphe des Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand ; je sentais qu’à ce rythme on n’aurait pas le temps de boucler le programme avant le bac. De fait, pour le dernier cours, cette prof nous a dit : « Je n’ai pas eu le temps de vous parler de Blaise Pascal, mais comme vous avez peu de chance de tomber sur lui au bac, si vous préférez, vous pouvez aller jouer dans la cour. Je me suis retrouvé presque seul avec cette prof qui était étonnée que j’aie déjà lu Les pensées et Les Provinciales de Pascal. C’était déjà mon auteur préféré et j’avais dans mon cartable ses pensées dans un livre relié à couverture de cuir. Mon bréviaire en quelque sorte. Des pensées qui, étant brèves, faisaient mouche à tous les coups, mais se prêtaient mal aux digressions dithyrambiques de cette professeure intarissable. Finalement, la seconde heure, c’est elle qui est descendu fumer sur la cour…

Grand suspens pour moi à l’oral le jour du « bac Français », après un écrit réussi les doigts dans le nez.

On me demanda de tirer un texte d’une corbeille et aussitôt je lus sur le papier choisi au hasard : La grive de Montboissier.

Sur le coup j’ai frôlé l’arrêt cardiaque car ce texte m’était totalement inconnu. En regardant en bas du paragraphe, je vis l’indication : Mémoires d’Outres Tombe de Chateaubriand.

L’auteur y parlait de Combourg et de Gabrielle. Je ne connaissais ni l’un ni l’autre, aussi ai-je ressorti de ma mémoire ce que ma professeure avait déblatéré sur un autre paragraphe de ce livre, paroles mixées à mes souvenirs sur la vie de l’auteur. J’obtins une note qui me valut de décrocher mon « bac Français ». Mon avenir devint alors de décrocher pareillement le reste de mon bac en Terminale, après des vacances bien méritées, cela va de soi.

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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2 Commentaires
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Grant Marielle
Invité
19 novembre 2020 10 h 05 min

En lisant ce “parachutage sur le lycée des poules”, je suis frappée par la persévérance de l’auteur dans ses études littéraires. Une véritable passion qui me donne l’envie de m’y mettre pour le simple et merveilleux plaisir de découvrir ces grands auteurs. La musique continue d’occuper une place importante ici , alors que la connaissance de la gent féminine s’amorce doucement…