Enfants, nous nous aimions, mon frère et moi, sans aucun doute. Il me taquinait beaucoup et je réagissais rapidement.
Et lorsque je me plaignais, maman me disait: “C’est ton
Frère”. Je devais accepter parce qu’il était mon frère
et cela était tout à fait normal pour moi.
Assis autour de la table au moment du dîner
mon frère commençait à me donner des petits coups
de pied et attendait ma réaction, qui était rapide.
“Arrête, tu m’embêtes” et nous commencions à nous disputer;
“C’est lui qui a commencé” ”Non c’est elle” répondait
mon frère. Papa, énervé nous séparait. Cela arrivait souvent, mais c’était bien banal, il me semble.
L’attitude de mon frère a changé lentement, mais
surement, lorsque nous n’étions plus enfants.
Il avait huit ans de plus que moi, j’étais encore
une enfant lorsqu’il était adolescent.
J’étais une adolescente lorsqu’il était adulte.
À peine arrivée à l’adolescence il me critiquait
beaucoup. Mon écriture ne lui plaisait pas,
elle paraissait “trop gamine”, il me l’a fait
changer, et ce fut un désastre. Mon écriture
ne fut jamais belle après cela, mais je n’ai
pas essayé de la changer.
Puis il est parti à l’armée et lorsqu’il venait
en permission, il critiquait tout ce que je
faisais: la manière dont je parlais, la façon dont
je m’habillais, les amis que je choisissais.
Cela ne m’aurait pas vraiment ennuyée si
maman n’avait pas eu la mauvaise idée de
lui donner raison à chaque critique.
Je ne comprenais pas pourquoi
elle agissait ainsi. Lorsque mon frère était
absent, il n’y avait pas de problème entre
elle et moi, et aussitôt que mon frère
arrivait, l’atmosphère de la maison changeait
dans un déluge de demandes et de critiques.
Je ne comprenais vraiment pas l’animosité
de mon frère.
Je partais chez une amie et je revenais à l’heure
du dîner. Un voisin avait même dit un jour:
“Son frère est arrivé, et elle sort”, et il ne me
faisait pas de compliment. Mais cela m’était égal.
Je voulais seulement échapper aux incessantes
plaintes de mon frère auxquelles s’ajoutaient celles de maman.
La situation ne s’est pas améliorée au cours
des années. Il questionnait tout ce que maman
ou papa dépensait pour moi: les vêtements, les
chaussures, les sorties. Nous n’étions pas riches
mais j’avoue que maman me voulait toujours
bien habillée. Cependant, je ne portais pas du luxe.
Il me semblait qu’il avait peur que j’obtienne plus
que lui. Maman, se croyait de devoir lui donner des explications. Papa ne donnait pas d’explications,
parce que mon frère adressait ses rancoeurs à maman seulement, jamais à papa.
J’en arrivais à penser qu’il était jaloux de moi et
à ce jour j’en ignore encore la raison. Les années
se sont écoulées et tout escalada avec une
montée vertigineuse lorsque je rencontrais celui
qui allait devenir mon mari.
Mon frère n’aimait rien de ce qui venait de lui,
et les remarques blessantes étaient dirigées
contre mon mari et moi. Un jour, mon mari
parti pour le Canada. Plus tard je l’ai rejoint avec mon fils.
J’ai appris que dès mon départ pour le Canada, mon
frère avait dit à mes parents, de m’oublier, que je
ne reviendrais jamais, qu’il fallait mieux penser que je n’avais jamais existé.
Il m’a aussi été dit bien plus tard qu’un oncle avait
fait la même réflexion à mes parents. À mon avis, ces
gens appartenaient au dix-neuvième siècle. Ils n’ont jamais
vécu dans le vingtième siècle. Ils restaient figés dans le temps.
Mon frère demandait que mes parents déménagent près de chez lui dans une banlieue au nord de Paris. Lui et sa femme avaient décidé qu’ils seraient concierges dans un immeuble près de leur domicile. De ce fait, mon frère et sa femme ne feraient plus le voyage en Bourgogne pour leur rendre visite. Mes parents étaient très attachés à leur village de Bourgogne
depuis 25 ans. Maman ne savait pas dire non à mon frère, elle
prit la pression sans vraiment donner de réponse.
Ce fut papa qui arrêta la conversation très rapidement, employant un seul mot: NON. J’appris cela bien des années plus tard.
J’imagine l’étonnement de mon frère lorsque deux ans après
avoir émigré au Canada, je revenais en France avec
mon fils pour une courte visite de deux semaines.
Il habitait près de Paris, donc ce fut lui qui fut chargé
de venir nous chercher à l’aéroport.
Il fit le trajet de nombreuses fois, lorsque que je revenais pour une visite en France.
Je pensais avoir résolu le problème de la jalousie
en m’éloignant à l’autre bout du monde. Je croyais réellement
à l’époque que j’étais la cause de cette jalousie
totalement injustifiée. Même avec le recul du
temps, je ne comprenais toujours pas
d’où venait cet état d’esprit de mon frère.
En partant, je n’avais rien résolu.
Ma belle-soeur subissait le même sort, avec
des périodes de répit et des périodes d’insanité
qui pouvait durer des semaines. Cela a duré des années.
La pauvre était accusée d’avoir des amants
dans tous les magasins où elle faisait ses courses: le boucher,
le boulanger, le coiffeur, et d’autres encore.
Pour obtenir la paix pendant quelque temps,
elle changeait d’établissements. Mais d’après
ce qu’elle me disait, toutes les accusations
de mon frère recommençaient. Rien ne
semblait assouvir sa jalousie.
Elle avait atteint les soixante-dix ans
et les accusations continuaient.
Elle m’avait avoué dans une de nos
conversations “entre amies” qu’elle avait
fait part de ses ennuis à son médecin.
Bien sur, mon frère refusait
toute sorte d’aide. Il l’accusait de
vouloir le mettre dans une maison
pour les malades mentaux pour se débarrasser
de lui. Lorsqu’elle me donnait toutes
ces informations, je me rendis compte
que mon frère était probablement déjà
au-delà de tout aide. À mon humble avis;
Il était consumé de rage, de jalousie,
et que sais-je encore depuis si longtemps
qu’il vivait avec ce démon comme une lente
maladie que le rongeait et qui ne guérirait jamais.
J’ai essayé au cours des années de comprendre
cette rancoeur, sans cause il me semble, et peut-
être, je dis bien peut-être j’en connais la cause.
Mon frère était mon aîné de huit ans. Il y eut entre
mon frère et moi, un autre enfant qui est né
trois ans après mon frère, et qui, au grand désespoir
de mes parents est mort en bas âge, à neuf mois.
Je l’admets, ce fut un drame pour mes parents.
J’imagine que mon frère était trop jeune pour
comprendre la perte que mes parents subissaient.
Il m’a été dit, ici et là que mon frère posa quelques questions lorsque le bébé n’était plus là, mais à trois ans, il a dû oublier rapidement.
Au cours des bribes de conversation de mes
oncles et tantes, il paraît que mes parents
choyaient mon frère au-delà des limites
de l’époque. Il était simplement terriblement
gaté. D’après ce que j’ai pu comprendre
mes parents s’étaient installés dans leur
condition d’une famille de trois personnes.
Cinq ans plus tard, j’arrivais.
Est-ce mon arrivée qui fut le début de cette jalousie qui
a empoisonné sa vie et la vie de ceux qui l’entouraient?
À ce jour, je ne sais pas.
Il est maintenant parti et il n’a jamais
dévoilé ses secrets.
Et pour lui, sa femme, mes parents
et pour les autres inconnus qui l’ont
côtoyé, mon coeur est en peine.