XXXIX – Milou, Maumau et moi : Les années antoniennes
Comme vous l’avez lu dans une précédente tranche de vie, Tata Paupau (pas encore devenue Tata Popo), avait convaincu mes parents de quitter Paris pour la rejoindre sur Antony. C’est la résidence Les Iris qui accueillit, comme vous l’avez lu, non seulement mes parents, mais aussi mes grands-parents, et à peu de choses près, mes oncles et leur famille devenaient aussi des irisiens.
Quels souvenirs de mes parents après leur migration en banlieue sud ? Le changement le plus important fut, pour mon papa, la proximité d’avec l’aéroport d’Orly. Il pouvait s’y rendre dès tôt le matin avant les bouchons au volant de son indémodable 404 Peugeot. Ses journées étaient très longues car il rentrait tard le soir et il trouvait toujours des papiers à remplir ou à trier entre le manger et le coucher, quand il ne rentrait pas à des heures indues. Ma maman, elle se couchait ce que j’appellerais très tôt (21h) et s’endormait tout de suite après sa prière. Mon père, lui, attendait souvent minuit pour dire la sienne à genoux sur le coté du lit conjugal, les bras en croix et chapelet à la main. Ma mère avait le soleil léger et le moindre bruit à réveillait avec des petits spasmes la faisant suffoquer. Elle en disait : « Ce n’est rien, juste un peu de tachycardie ». En fait, elle avait eu ce qu’on appelait une primo-infection à l’âge de 17 ans, pathologie dont elle était sortie les poumons atrophiés. En sus de ces séquelles, comme vous l’avez lu précédemment, elle avait voulu conserver son utérus malgré son fibrome qui ne la laissait jamais tranquille. Elle prenait tout avec un certain humour pour dédramatiser la situation, si bien que j’avais pris l’habitude de la voir sortir du lit, avec un petit sourire aux lèvres, tenant à la main une « serviette » gigantesque imbibée à outrance et, pour rentrer dans son jeu de dédramatisation, je lui disais : « Maman tu vas encore aller vendre ton beefsteak », quand j’étais minot évidemment. , même si je savais bien ce qu’elle allait jeter dans une grande poubelle dans l’une de nos pièces d’aisance.
La vie de ma maman se résumait à deux choses : ses tâches ménagères et son fiston. Les deux ne faisaient qu’un quand je faisais les courses avec elle au marché trois fois par semaine et que je continuais de traiter les bouchers de voleurs du haut de mes quatre ans. Elle m’apprenait le le nom des meilleurs commerçants du marché : Coignard pour la viande, Serrait pour la charcuterie et Sinanian pour les fruits et légumes. Ces noms sont restés imprimés dans mes neurones, tout comme le visage de chacun d’entre eux et sa façon d’aguicher le client.
Ma maman, dans le souci de toujours mieux faire, nous préparait pour le dîner du soir ce qui était pour elle la meilleure soupe à proposer à sa petite nichée Il ne fallait surtout pas lui dire qu’on s’en laissait sinon cela la mettait en larme et elle nous répondait « Mais je ne peux pas faire mieux, j’ai déjà mis tous les légumes du marché». Parfois elle y ajoutait du céleri pour faire émerger un nouveau goût à la mixture habituelle.
La vie de ma maman, c’était aussi faire la standardiste car sa sœur Paulette, résidant à 2km, l’appelait entre 15 et 20 fois par jour. Cela lassait mon papa davantage que la soupe à tous les légumes, et d’ailleurs elle appelait souvent à l’heure de cette soupe qu’elle faisait ainsi refroidir.
Le week-end était le temps de la famille. Cela voulait dire aussi le temps de l’ouverture aux autres. Mon papa faisait, à pieds, le tour du quartier pour distribuer la feuille paroissiale et pour demander si des personnes avaient besoin d’être conduites en auto à la messe du dimanche matin. Une de ses habituées, pour ne pas dire abonnées, était madame « Gomère ». Elle habitait presque en face l’Église Saint Maxime, mais préférait que mon père la conduise à l’église Saint Saturnin en plein centre-ville. Par bonheur c’était notre paroisse à nous aussi. Cette dame était toujours aussi en retard que râleuse, mais pour moi, le pire étaient les effluves qu’elle laissait dans la 404 de mon papa : un mélange d’odeurs de pipi et d’eau de Cologne. Tout cela constituait la seule occasion, pour mes parents, de sortir de leur appartement et de leur train-train quotidien. Le reste du week-end, mon papa s’occupait de ses papiers de ses photos, ma maman lisait La Vie Catholique et y remplissait ses grilles de mots croisés. Bien évidemment, il y avait, les premières années, les visites à mes grands parents des deux rez-de-chaussée. Puis juste à mes deux grands-mères. De temps en temps mes parents invitaient Tata Popo et Tonton Claude, mais de moins en moins souvent car l’un et l’autre se laissaient prendre par leur travail même le week-end.
Tout cela pour dire, qu’en règle générale, notre vie de résumait à Papa, maman et moi. Rude mission que celle du fils unique qui ne doit ni faire craindre, ni déplaire. La crainte de ma maman à mon sujet glissait aussi vers mon papa à qui elle a demandé s’il serait possible qu’il cesse d’aller travailler…en avion, car mon père était quand même photographe-reporter pour Air France et non cantonné des allers-retours entre Orly et le siège de la société à Paris. Mes parents ont attendu de vouloir visionner le vol des pavés de mai 68 pour acquérir un téléviseur. A la radio, on imaginait mais la chienlit dont parlait le général de Gaule. Mon père voulait aller travailler durant ces évènement, mais il se faisait rabrouer et même malmener par les piquets de grève. Grace au petit écran en noir et blanc, j’ai vécu ce mois comme celui d’un grand spectacle dans lequel mes parents étaient acteurs. Je me souviens de chaque évènement, de chaque prise de parole et de chaque commentaire de maman dont la télé avait décuplé le babil. Et de Daniel Cohn-Bendit comme d’un vilain petit canard.
Belle histoire de ❤