Mémoires, pages 28 à 29 / 311, par Dominique Capo

Quoiqu’il en soit, il ne nous a jamais accompagné jamais aux courses. Il ne nous a jamais escorté dans n’importe quelle sortie familiale du reste. Il a été très rare que mon père vienne avec nous au cinéma ou pour se promener en ville. Étant un gros fumeur, il ne supportait pas les lieux où sa liberté de consommer du tabac – environ deux paquets quotidiens – était restreinte. Ou alors, il nous quittait tous les quart-d’heure afin de s’enfiler sa dose de nicotine. C’était donc une situation plutôt gênante quand nous étions au cinéma, au restaurant, au musée, etc. Non pas que nous nous rendions dans tous ces lieux fréquemment, mais cela nous arrivait de temps en temps. Et c’était toujours toute une histoire, toute une organisation à mettre en place du fait de la dépendance de mon père au tabac.

D’un autre coté, c’était un prétexte supplémentaire pour ne pas aller avec nous. Et heureusement dans un sens que mes grands-parents maternels ont été friands de ces expéditions. Ils l’ont toujours été, d’aussi loin que je me souvienne. Et ma mère s’y est sentie moins seule. Elle pour qui ce n’était pas non plus un motif de contentement, leur compagnie a compensé les affres de leurs nécessités. D’autant que, souvent, ils longeaient les allées du centre commercial avec leur propre cadis qu’ils remplissaient à ras-bords de toutes sortes de victuailles. Et qu’en prime, au moment de gagner la caisse, ils proposaient à ma mère de lui payer un fragment plus ou moins important, voire la totalité, de ses achats.

Il faut avouer que ce geste a toujours été le bienvenu. Cela ravissait mes grands-parents d’alléger les frais d’alimentation de ma mère. Ils en avaient les moyens et ne s’en privaient pas. Il faut également souligner que cela a aussi été une manière pour eux de peser sur le ménage que formait mon père et ma mère ; de pouvoir y mettre leur grain de sel lorsqu’ils pensaient que les choses n’allaient pas dans le bon sens. Ils s’impliquaient maladroitement certes, mais sans penser à mal. Ils songeaient avant tout à notre intérêt et à celui de ma mère. Mais ils considéraient de fait mon père comme la cinquième roue du carrosse. Depuis le début du mariage de mes parents, mon père en a pris bonne note. Et comme ma mère ne s’est affirmé qu’exceptionnellement devant eux de peur qu’ils ne l’épaulent plus financièrement, il a fini par baisser les bras. Je suppose que c’est l’une des raisons pour lesquelles le réapprovisionnement en vivres lui était particulièrement pénible.

C’est aussi une des nombreuses raisons du regain de ressentiments entre mon père et ma mère. Le feu couvait depuis une bonne dizaine d’années entre eux du fait d’innombrables désaccords qui n’avaient pas été résolus. Et nous étions au cours des mois où ces derniers se sont intensifiés.

Dès lors, c’est contraint et forcé, mécontent de devoir les suivre dans ce temple de la consommation où je m’ennuyais à mourir, que je les ai escorté. Chaque arrêt dans un rayonnage était un calvaire. Les observer discuter de tel ou tel produit, d’à quels fins il allait être utilisé pour le repas du soir, du lendemain, ou de la semaine suivante m’assommait. De les voir s’extasier devant la qualité de tel morceau de viande – et pourtant, aujourd’hui, j’adore la viande -, de tel saucisson, de tel plat du Dimanche en devenir, m’horripilait. J’en ai, depuis, gardé de profondes séquelles. J’essayais donc du mieux que je le pouvais de me divertir. Et je jetais des regards alentours sur tout ce qui était susceptible de m’éloigner des préoccupations immédiates de ma mère et de mes grands-parents.

A suivre…

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