Mémoires, pages 23 à 25 / 311, par Dominique Capo

Le soir même, après avoir dîné, je me suis mis au lit vers 20h30, comme il était de coutume. Mes parents – ma mère surtout – estimaient que c’était l’heure la plus adéquate pour aller se coucher à un préadolescent de douze à treize ans. Je ne dis pas que je n’aurai pas préféré rester au salon pour regarder la télévision plus longtemps. D’ailleurs, lors des vacances scolaires, mon frère, ma sœur et moi retournions dans notre chambre plus tard ; sauf mon cadet au cours de ses jeunes années évidemment. Ma mère le conduisait jusqu’à son lieu de sommeil au terme du repas familial. Et comme elle l’avait fait pour nous avant lui, elle lui lisait une histoire. Il plongeait alors dans les bras de Morphée avec délice et sereinement.

Tandis que j’écris ces mots, je revois encore les ouvrages qu’elle utilisait à cette fin. Leurs illustrations s’inspiraient du monde de Walt Disney et de ses dessins animés. Ils étaient décomposés en quatre volumes ; un pour chaque saison de l’année.

Chaque soir, ma mère s’asseyait sur le bord de son lit. Il y était installé entouré de ses peluches et de son « doudou ». Ma mère passait alors environ un quart d’heure ou vingt minutes en sa compagnie. Elle lui racontait des histoires sur Peter Pan, sur Blanche Neige, sur Robin des Bois, ou sur Mickey. Je suppose que l’un des plus grands regrets de ma mère, c’est que mon père n’ai jamais pris sur lui pour s’occuper de nous de cette manière. Comme je l’ai déjà spécifié, pour mon père, c’était à ma mère de nous élever, et à lui de rapporter l’argent du ménage.

L’unique fois où il a fait l’effort pour nous consacrer un peu de temps, c’est quelques mois avant ou quelques mois après les instants que je décris. J’étais, puni et la télévision m’était interdite pour un mois. Or, comme il était de coutume que nous visionnions le journal de 20 heures tout en mangeant, s’était créé un manque. De fait, pour animer cette grosse demi-heure où nous étions tous réunis autour de la table, mon père nous a instruit sur un certain nombre d’Ères historiques. Féru d’Histoire – tout comme je le suis moi même aujourd’hui -, il connaissait ses méandres et ses personnages les plus emblématiques sur le bout des doigts. Et durant deux à trois semaines environs, jusqu’à ce que ma sanction ne soit levée, il a évoqué un épisode de l’Histoire de France différent chaque soir.

Cela ne s’est plus reproduit ensuite. Hélas, parce que ce bref interlude culturel m’avait particulièrement plu et marqué. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas celui-ci qui a semé dans mon Esprit les graines de ma future passion pour ce sujet.

En tout cas, ce soir là, je n’ai pas rechigné pour rejoindre mon lit. Je m’y suis confortablement installé. Auparavant, je me suis muni, comme son résumé l’exigeait, d’un crayon, d’une gomme, et de deux dés. J’ai parcouru attentivement ses instructions détaillées. J’ai examiné dans ses moindres détails la « Feuille de Personnage » qui y était accolée. Apparemment, c’était là que devaient être consignés toutes les péripéties que je devrais traverser au sein de la Montagne de Feu. C’était aussi là que je devrai décrire les objets, trésors et autres bric-à-brac que je trouverai sur mon route. C’était encore là que seraient évalués mes points de compétences – Force, Endurance, Chance – de base en y totalisant les trois jets de deux dés appropriés. Et en leur en soustrayant d’autres à chaque fois que je recevrai des blessures au cours d’un combat avec un ennemi par exemple. Puis, j’ai attendu que ma mère vienne me souhaiter le bonsoir. Et, une fois seul, au calme, je m’y suis plongé.

Comment expliquer l’expérience qui a été la mienne les heures suivantes ou les soirs d’après ? Tout ce que je peux révéler, c’est qu’il s’est agi de l’un des événements les plus extraordinaires, les plus fabuleux de mon existence. J’ai eu l’impression d’être happé au frontières d’un territoire inédit, sans limites, aux possibilités infinies. Chaque phrase du récit, je m’en suis imprégné comme si je les ressentais réellement au plus profond de mon âme. Je suis conscient que cela peut paraître absurde, grandiloquent ou démesuré. Peut-être ! Mais c’est ainsi. Il y a des émotions qui nous transportent dans un lieu situé au-delà de nous même. Il y a des minutes qui nous brûlent avec une telle force qu’il nous faut des mois pour nous en remettre. Je suis certain que chacun de nous, à une époque donnée, sous une forme qui est propre à son individualité, à sa destinée, l’a vécu.

A suivre…

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