Mémoires, pages 11 à 13 / 312 par Dominique Capo

Pour en terminer avec la personnalité et le comportement de mon père au tournant des années quatre-vingt, celui-ci était une personne très intelligente. D’une grande culture, c’était un manipulateur né. Il possédait un grand charisme. Il était amical, ouvert, chaleureux. Il était capable de se faire partout énormément de contacts ; bien qu’il préférât entretenir des relations avec des individus issus de milieux sociaux inférieurs au sien – il n’y a rien de péjoratif dans le terme que j’emploie ici. Mais il avait dès lors l’impression d’être supérieur aux autres.

Il aimait lire l’admiration dans le regard de ses interlocuteurs. Il est même arrivé que les gens qu’il côtoyait le prennent pratiquement pour un demi-dieu du fait de son aisance, de son immense culture, de sa facilité pour manier les mots. J’ai hérité de ces gènes en ce qui concerne cette aisance pour jongler avec les mots. Il avait – tout comme moi encore une fois – la passion de l’Histoire, de l’Art, de la Littérature.

Mais cette attitude outrancière envers son entourage plus ou moins proche était dû à son éducation. Si mon père voulait imposer à ma mère le fait d’être une femme au foyer alors qu’elle ne le désirait pas, au point que leurs relations se détériorent franchement, c’est en partie parce que mon père était considéré comme un véritable demi-dieu par sa mère et les sœurs de celle-ci. Il est vrai que mon grand-père paternel était une personne relativement effacée face à la forte personnalité de ma grand-mère. Et il est exact que cette dernière a toujours élevé son fils sur un piédestal. Dès lors, il s’est toujours vu comme quelqu’un dont on n’avait pas à remettre en cause les paroles ou les actes. A tel point que ma mère n’avait aucun accès aux compte bancaires du ménage. C’était mon lui qui lui fournissait une certaine somme pour le mois. Elle devait s’en contenter pour les courses, l’entretien du pavillon, etc. Lui profitait du reste de cette somme pour son plaisir personnel, sans qu’elle ne soit au courant où tout cet argent disparaissait. Et tant pis si cela ne satisfaisait pas les autres, du moment que lui l’était.

Mon père se considérait donc toujours en représentation. Devant les autres, il faisait toujours bonne figure. Mais ce qu’il appréciait par dessus tout, c’est qu’on l’admire, qu’on l’adule, qu’on se soumette à lui. Combien de fois l’ai-je vu, au cours de réunions de famille ou de réunions pour ses associations de parents d’élèves, mettre en avant les filles et les fils des participants à celles-ci ? Des dizaines, des centaines de fois, peut-être ! Combien de fois a-t-il évoqué le fait que je possédais de remarquables aptitudes pour des centres d’intérêts que nous avions en commun ? Jamais ! Pas une seule fois, je ne me souviens qu’il ait valorisé mes efforts littéraires ou mes compétences en Histoire.

Ce n’est d’ailleurs pas anodin si aujourd’hui, ma mère à la même attitude à mon égard devant les personnes auxquelles elle me présente et avec lesquelles je pourrais converser. Du fait que j’ai toute ma vie été contraint de rester en retrait, par automatisme désormais, je m’éclipse de ce style de réunion. Puisque ce que je représente – comme ce que je représentais aux yeux de mon père jadis – n’a aucune valeur, je disparais. Puisqu’il est beaucoup plus important de parler du club hippique de ma sœur, du club canin de ma mère, des voyages passés de ma grand-mère, des repas gargantuesques auxquels nous sommes soumis, les centres d’intérêts, les travaux littéraires qui sont les miens et sur lesquels je pourrais m’étendre pour exister, s’effacent. Et je m’efface avec eux. Il ne s’agit que de la continuité de l’état d’infériorité que mon père m’a attribué jadis.

Car, mon père aimait par-dessus tout inférioriser les autres, et moi en particulier. A partir du jour où j’ai commencé à écrire, à laisser mon imagination dériver afin d’en tirer des textes plus ou moins long – c’est à dire à partir de 1987 à peu près -, mon père n’a eu de cesse de me répéter que ce que j’écrivais ne valait rien. Que lui aurait fait autrement, que je devrais changer tel paragraphe, qu’ici, tout était à recommencer, que les sujets que j’abordais – le Fantastique, l’Héroïc-Fantasy, etc. étaient inintéressantes.

Même à partir de 1992, lorsque j’ai commencé à travailler à la Bibliothèque Nationale et qu’en parallèle j’ai débuté mes recherches historiques, il a estimé que je perdais mon temps. J’ai beau eu devenir un spécialiste, un érudit de ces thèmes avec les années, faisant l’admiration de mes camarades de soirées de jeux de rôles – j’y reviendrais plus tard -, à chaque fois qu’il en avait la possibilité, il déclarait à tout va que ce que j’écrivais n’avait aucun avenir. Lui qui était féru d’Histoire et de Littérature, comme je le suis moi même aujourd’hui, il n’en tirait aucune fierté. Et le jour où je suis devenu aussi compétent que lui dans l’Art d’écrire, en Histoire, il a malgré tout poursuivi son travail de démolition moral à mon encontre. Et si je suis aujourd’hui encore aussi peu sûr de moi, c’est aussi en partie du fait de son attitude à mon égard.

Je tenais à souligner ces éléments parce qu’ils ont, en plus de tout le reste énormément influencé mon état d’esprit ultérieur. Ils ont beaucoup pesé sur le fait que ce n’est que très tard que je me suis senti assez apaisé, assez fort moralement, ayant assez de confiance en moi, pour envisager de publier mes récits. C’est après avoir posé ce fardeau qu’il avait fait peser sur mes épaules que j’ai enfin pu entamer une carrière d’écrivain à part entière.

A suivre…

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