« On sous-estime tellement la marguerite que plus personne ne se baisserait un peu pour contempler cette fleur trop ordinaire : et pourtant celui qui daignera encore l’examiner attentivement, s’apercevra qu’elle est tout à fait splendide et remarquable. Toute notre culture scientiste et encyclopédiste nous apprend à mépriser ce que nous trouvons quotidiennement devant nos yeux, trop près de nous, et à ne nous intéresser qu’à ce qui est inconnu, hors de notre portée et qui nous semble fantastique, extravagant. On cherche la vérité et le bonheur dans l’ailleurs et le différent, mais on est obligé d’ignorer que ceux-ci pourraient exister simplement à deux pas de chez nous ; et certes ils n’y apparaissent pas au premier regard. Car notre quotidien est aliéné par notre éducation et par les medias. Pour découvrir la richesse enfouie et insoupçonnée de notre ego à la dérive, il convient de briser le mur des apparences sociales, ce qui ne se fait jamais sans mal.
Ce bonheur, qui me semble maintenant si proche, n’est donc pas simple, que du contraire ! « L’amour est à réinventer ». Ce qui relève de la proximité nous échappe souvent complètement, çà paraît très facile mais sans le moindre intérêt, nous ne voulons même pas en entendre parler, nous refusons d’écouter la musique qui en émane ! C’est le triomphe de la métaphysique sur la réalité : nous sommes devenus incapables de construire notre propre vie et nous la fuyons de plus en plus loin, dans l’imaginaire ou dans la hâte des voyages. Chacun s’invente ses marottes et ses faux désirs. Tout cela n’est que vanité.
Or c’est dans le refus de la banalisation de notre existence là où nous nous trouvons (et non autre part), et dans la découverte du mystère et de la Beauté les plus proches de nous, les plus attirants et les plus attrayants à notre portée ; dans la destruction sans pitié de notre autosacrifice consenti pour un mieux-être parfaitement imaginaire, que réside la vraie poésie. Il y a plus d’aventure et de joie à créer des rapports authentiques là où on se trouve que d’aller se fabriquer une personnalité nouvelle en partant au loin chez les Papous. Je me sens de plus en plus anti-rousseauiste en ethnologie, mais de plus en plus rousseauiste en amour ».
Ainsi s’exprimait le docteur Faust après sa première nuit d’amour avec sa bien-aimée. Car Marguerite venait de le tirer des griffes de l’enfer où l’avait plongé sa parfaite ignorance omnisciente de la vie immédiate. C’est pourquoi il lui prit le désir de lui expliquer la métamorphose qui s’était brusquement produite en lui. Aucun être humain ne sait bien vivre sa propre vie s’il n’a pas au préalable beaucoup appris par lui-même et beaucoup lutté avec la rage du désespoir contre l’adversité.
(Ecrit en l’an 2000)