Les soldes – Laure Fayarde

     On était au printemps et la période des soldes allait commencer. Je n’étais pas férue de ce genre d’article, mais j’avais repéré la veille dans une boutique, une magnifique capeline en paille tressée. De couleur sable, elle arborait un joli ruban en velours fuschia que l’on pouvait nouer autour du cou, à la façon de Sissi lmpératrice. De plus, deux petites pâquerettes ornaient le côté droit, ce qui donnait à l’ensemble un charme certain. Une merveille qu’il me fallait absolument pour affronter les heures chaudes de l’été…

     Le magasin allait bientôt ouvrir et il fallait presser le pas. Arrivée sur l’avenue, quelle ne fut pas ma stupeur de constater une horde de bonnes femmes, agglutinées contre la grille, prêtes à se propulser sur leurs starting-blocks pour arriver les premières sur l’objet de leurs convoitises. Ce qui ne manqua pas d’arriver, car à neuf heures pétantes, le crissement du rideau de fer excita les esprits et la boutique commença à avaler une foule de plus en plus dense de femmes, de mères, d’enfants en poussette, de groupes de tout âge à l’abordage de la bonne affaire ! Sitôt passé la porte, le haut-parleur braya son slogan de bienvenue “Aux soldes BIBI, choisissez, triez, essayez et vous serez ravies”. La musique assourdissante et les slogans des promotions résonnaient dans un tohu-bohu et je me sentais transportée par la foule de plus en plus compacte. Je n’ai pas repéré immédiatement le chapeau. On l’avais changé de place et mon cœur se mit à battre. Je stoppais net mon élan, scrutant des yeux les étalages dans l’espoir d’apercevoir mon article préféré. Grave erreur ! car déjà je fus bousculée par un groupe de femmes toutes excitées, qui criaient, appelaient leurs proches et arrachaient littéralement les vêtements de leurs cintres qui résonnaient en cliquetis sur les portants.

Ce comportement frénétique, désorganisant sans retenu les gondoles et les rayons, agaçait passablement la vendeuse et déjà le ton monta : “Non, Madame, je ne l’ai pas en 46 !” Soudain, le scoubidou pendu à mon cabas s’accrocha sur le gilet de laine d’une mémée qui me fusilla du regard et après quelques minutes épiques de démêlage, je repartis à l’assaut dans une bousculade inouïe. En quelques coups de coude, j’avançais dans la mêlée quand j’aperçus une jolie petite robe qui … trop tard ! Une grosse main, au verni écaillé, s’abattit sur la frêle dentelle et ne la lâcha pas d’un iota ! Zut, pensais-je en reculant devant les grands yeux noirs de mécontentement qui me fixaient. La fièvre acheteuse gagnait du terrain ! Me prenant des pieds dans les boîtes à chaussures, je perdis la mienne en même temps. “Garde ton calme, il faut avancer dans l’ouragan” me disait la petite voix. Mes pas me portèrent au fond du magasin où un vigile, sifflet à la bouche, observait la scène, que dis-je, la ruche ouvrière, l’air désabusé. Je ne pu m’empêcher de plaisanter :

     – J’espère que l’on ne va pas distribuer des billets de cinquante euros lui lançais-je en passant. Soudain, l’annonce d’une super promotion de cinq minutes au rayon soutien-gorge fit perdre la tête à certaines. Tel un roulis dans la tempête, des vagues hystériques de femmes échevelées me percutèrent de tout côté, me transformant en culbuto. Qu’importe, car dans ma valse forcée, j’aperçus enfin ma capeline sur la tête d’une rouquine qui se pavanait devant ses copines comme un dindon et s’amusait à singer la Marquise de Pompadour !
     – Que faites-vous ? me cria-t-elle.
     – Elle est à moi ! lui répliquais-je en arrachant, outre quelques cheveux, le couvre-chef. Et la bataille s’engagea dans un jeu irritant où mon chapeau passait de tête en tête. Ne sachant plus comment récupérer l’objet de mes désirs, je me mis à crier tout de go :
     – Un rat ! Là, il est passé là-dessous, ho, quelle horreur !
     Profitant de ma ruse, je bondis littéralement sur mes adversaires qui, paniquées, lâchèrent leur proie. Let’s go sur la sortie ! Le cœur battant, les joues rougies, je me frayais sans ménagement un chemin vers les caisses déjà envahies. Là, je regardais victorieusement mon chapeau que je trouvais un peu déformé et légèrement sali par une marque de rouge à lèvres. Tiens, il me faudra aussi recoudre cette pâquerette…

     De retour à la maison, je me précipitais, toute contente, dans le jardin où mon mari, occupé à sarcler les hortensias, déclara en voyant mon achat :

     – Ah,ah, tu vas faire un épouvantail ? Bonne idée, les oiseaux ne becqueront plus les cerises cette année !…

©Laure Fayarde

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