Le vieux village – Christian Satgé

Là, au creux de ce coude de la rivière,
Là où les plus vieux des vieux chemins de pierres
Se croisent en lacis au pied de grandes croix,
Le ciel las se joue du vent, à claire-voie
Et sa bruine bruissaille sur les broussailles
Pour mieux bénir les agrestes fiançailles
Des nues cendrées, couleur des étains éteints,
Et des longs sillons qu’a fumés le crottin.

Là, où la forêt pénombre tout sillage,
Là se cache un authentique village,
Dans un pays de verts sureaux et d’ormeaux,
De roseaux nés pour finir en chalumeaux,
Et d’anciens gros hameaux sentant bon la terre.
Dominé par un noir presbytère austère,
Et les ruines d’un château tout vermoulues.
Ce lieu sombre a tout d’un monde révolu !

Des tonnelles de glycine pour enseigne,
Des roses anciennes au parfum qui saigne,
Vous y indiqueront des maisons vieillies,
Silencieuses comme sait l’être un taillis
Quand un fusil trop près de lui erre ou flâne
Mais aussi, dans le braiment subit des ânes,
Auberge ventrue, taverne courue,
Clocher pointu et boutique sur rue.

Dessous ce ciel d’ombres où de grandes grues grincent,
Des petites mains découpent ou émincent,
De gros bras battent pâte ou bien frappent fer,
Alors que sur la grand’place en mâchefer
Des boules roulent des mains de gens sans âge
C’est un agréable roulement d’orage
Loin des rues pentues, des bornes moussues,
Qui éloigne les plus bourrus des pansues.

Demain, le soleil chauffera de sa braise
Et tisonnera l’air lourd tout à son aise
Sur les labours mouillés et les toits lavés.
Demain, sur le brillant furtif des pavés,
Les sabots des hommes et ceux des bêtes
Feront entendre leur chanson qui entête
Celle du jour neuf, pareil au précédent
Et semblable à qui ira lui succédant.

© Christian Satgé – Septembre 2015

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

6 réflexions au sujet de “Le vieux village – Christian Satgé”

  1. Je me suis très agréablement promenée (dans vos villages d’ici et là, pour n’en faire qu’un seul, comme vous l’avez écrit à Serge) à travers votre poème, me renvoyant dans le passé que je transfigure chaque fois un peu plus. Merci infiniment, vos vers sont magiques,
    je les ai appréciés au plus haut point ! Amicalement, Simone.

  2. Je suppose que ce village se situe dans vos chères Pyrénées. Nous avons les mêmes ici bien dissimulés dans les échancrures du relief. Votre texte est magistralement beau Christian. J’ai suivi un peu de Ferrat, un brin de Béranger et les lents voyages du Bélibaste de Gougaud. La richesse du vocabulaire et des allitérations en plus. Merci pour cette ballade qui a fait resurgir tant de belles choses…

    • Je me sens plus que flatté par votre commentaire Serge et par les références que vous y mettez plus encore. Hélas, ce village n’existe pas il regroupe un ensemble d’images, plus ou moins anciennes et floues, de hameaux et de bourgs de sPyrénées, de mon midi toulousain et de Lozère pour essayer de recréer « une ruralité d’hier », au temps où le village était avant tout la communauté des Hommes (que l’on ne voit pas ici… à dessein) occupent un lieu plus que l’endroit lui -même, mais totalement fantasmée. Si j’ai pu vous y transporté c’est que mon travail n’a pas été totalement vain. Amicalement…

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