Le vieux couvent – Christian Satgé

 

Ruines de pierres ternies et jaunies,
L’abbaye se survit, rongée par le lierre
Et mitée de buissons sans cérémonie.
Les ronces dévorent les jadis si fières
Colonnes, piliers d’un foi en allée.
Cette forêt assassine et pénétrante,
Soulève un sol hier si bien dallé.
Les vertes tonalités envahissantes
Dominent désormais des murs effondrés,
Un clocher mis à bas qui, encore, pleure
La perte d’un bourdon de mousse saupoudré,
Mais aussi, et ce n’est pas las un leurre,
L’oubli des Hommes comme le fil du temps
Qui l’ont mis à mal il y a si longtemps.

 

Sous les arcs abattus, des statues étouffent
Dans leur carcan de nature, décapitées,
Noyées de ces arbres pélerinant en touffes.
Ici, des gisants aux formes dépitées ;
Là, un reste de vitrail que la pluie délave
La procession des lianes venues
S’incliner – et pour prier ? – sur un conclave
De bas-reliefs effacés, roc mis à nu,
Érodé, au pied de croix agenouillées,
Dans la lumière cendrée de cette aube
Blessée, dans cet écrin discret et mouillé,
Derrière l’écran d’un bois qui les dérobe.
L’oubli des Hommes comme le fil du temps
Les ont mis à mal il y a si longtemps.

Ailleurs, on devine un cloître éventré,
À quelques esquisses feuillues d’ogives
Écartelées sur lesquelles cherchant ventrée,
À gueule bec, des corbeaux, en récidive,
Ricanent à voir si les rares âmes perdues
Venues ouïr les défunts. En piteux restes,
De vaines prières, en écho pendues
Au Ciel si loin de ce sanctuaire agreste,
S’accrochent aux bois, vouées à l’Eternel.
Il règne partout une paix reposante
Un accord resté malgré tout fraternel
Entre Dieu et Création agonisante,
L’oubli des Hommes comme le fil du temps
Mettant ce lieu à mal depuis si longtemps.

.

© Christian Satgé – juillet 2018

 

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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Anne Cailloux
Membre
24 juillet 2018 22 h 20 min

Magnifique écrit, magique, Il reste je pense plus encore dans ces lieux de ruines que dans des couvents églises et autres ruines
que j’aime ce ressenti…
Anne

Invité
24 juillet 2018 17 h 58 min

Magnifiquement écrit, cet endroit est magique et rempli de poésie, chaque pierre parle, c’est un havre de paix, comme je le ressens chaque fois que je vais à Vauclair, dans ce qu’il reste de l’abbaye cirstercienne.

Eric de La Brume
Membre
24 juillet 2018 14 h 58 min

Et oui, l’oubli des hommes. La culture l’art, l’histoire, le passé,souvent quand tout va mal, on fait en sorte de les effacer, pour pouvoir recommencer à chaque-e fois les mêmes erreurs.Un meuble antique, une vieille abbaye ou ce qu’on nomme les antiquités, c’est tout une histoire qui dort et qui a fait notre présent et contribuera au futur.

Mais on a tendance à les effacer de notre mémoire collective et faire du passé table rase pour refaire les mêmes erreurs qui profitent à certains. Très bel écrit, j’aime beaucoup.