Le restaurant des fantômes – Véronique monsigny

LE RESTAURANT DES FANTÔMES (Véronique Monsigny)

 

En arrivant en ce lieu étrange, on est saisi d’appréhension, un peu comme si on pénétrait chez une personne chère nouvellement défunte. C’est un décor déchu qui a du être princier. Le sol est dénudé, rendu à la nature qui y a vite  repris  ses droits. Les racines s’y disputent le terrain avec les pierres et nous obligent à les garder à l’œil.

Si on risque un  regard au dessus, on découvre une large baie vitrée généreusement ouverte sur la grande anse de Dehaye (Guadeloupe). Le nature triomphante offre à ce lieu un écrin vert marin scintillant  de soleil et brodé d’émeraude. Les yeux s’y promèneraient des heures sans jamais se lasser, y trouvant toujours quelques merveilles à découvrir. Nous sommes comme suspendus au dessus des flots caraïbes.

Ca, c’est le coté « jardin » : coté  « cour », changement de décor. Un vaste comptoir déserté déploie son demi- cercle face à la mer. Dans ce cadre hollywoodien, on imagine sans peine le maginfique Gasby sirotant  des cocktails entouré d’une foule d’amis inconnus. Le reste de l’espace  serait parsemé de tables dans un ordre savamment aléatoire, chacune bénéficiant d’une vue privilégiée sur l’horizon.  Pour s’accaparer le spectacle marin, les dîneurs les plus éloignés trônent sur de petites estrades qui les consolent d’être ainsi relégués au fond des corbeilles.

Continuant notre indiscrète visite, on  remarque sur un mur, le menu oublié des dernières agapes du lieu proposant  accras, poissons au bouillon, crabes farcis, boudins créoles. Les Ti punch ont  remplacés les cocktails du Magnifique. Soudain se dresse un nouveau décor, tout à fait différent  du précédent. Les femmes ont troqués leurs robes vaporeuses et leurs longs colliers des années 1920 contre des madras colorés et des créoles d’argent. Les hommes ont délaissé  le smoking pour des tenus plus légères, plus estivales que Fitzgerald aurait  sans doute  jugées décadentes. Les peaux sont plus colorées, les rires plus sonores et la musique créole à fait taire ce jazz aux accents insolents. Si le décor a changé, le cadre reste   hospitalier, immuable, éternel. La nature offre ses trésors sans discrimination, de générations en générations. Peu lui chaut la fortune et la couleur des gens qui prennent le temps de l’admirer et la peine de la respecter. Elle se donne totalement à chacun, mais tous devront un jour lui rendre la liberté de se redonner à d’autres générations de vivants. Elle est comme ça Dame Nature, généreuse et cruelle, authentique et frivole !

Il faut quitter ce lieu et le rendre au silence. En repartant, on retrouve les grands arbres qui semblent hanter l’endroit. Tel le Grand Meaulnes, on en vient à douter qu’il y ait eu un jour une quelconque agitation au milieu de cette forêt tropicale. Un panneau cache sa honte sous les grands feuillages. Il nous révèle le nom de notre cher disparu : le restaurant s’appelait « L’HEMINGWAY ». Ce ne sont,  ni Gasby le Magnifique, ni la terre antillaise qui ont dressé ce décor. On pourrait craindre de se réveiller dans un endroit beaucoup plus cruel et moins hospitalier. On frémit à l’approche des charniers espagnols ou des tempêtes océanes. Mais Ernest, comme Scott, avait sa face sombre et sa face lumineuse. Seule la lumière persiste à travers les années, l’ombre étant absorbée par la végétation environnante. Si Ernest est venu habiter l’Ile aux fleurs c’est que, amateur de jazz il aimait aussi la Bossa-nova,  la douceur antillaise le reposait sans doute de l’intrépide Cuba.

Je repars rassérénée, débarrassée d’une angoisse diffuse qui m’avait enveloppée en arrivant.   Cet endroit est vivant, habité d’ombres du passé qui ne demandent qu’à revivre d’autres métempsycoses.  J’en suis sûre, cet endroit de plaisirs et de luxe renaîtra un jour tel un Phénix car comme le prédisait le dernier magicien du lieu : « un homme peut être  détruit, mais pas vaincu* ».

* Le viel homme et la mer – Ernest Hemingway                                                                                                                                      (Guadeloupe, Juin 2013)

Hemingway

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Véronique Monsigny

Véronique Monsigny (204)

J'ai commencé à écrire des poèmes à l'âge de 60 ans. Ce n'est pas moi qui les ai cherchés, ils se sont imposés à moi comme une bouffée d'air pur au moment de la retraite. Enfin laisser parler les mots qui dorment en moi !
J'ai lu Victor Hugo et Lamartine à l'adolescence, puis Aragon et Baudelaire un peu plus tard. Brassens a bercé mon enfance. Ils m'ont appris à rimer en alexandrins.
Le virus était en moi. Il y a sommeillé le temps de travailler, d'élever mes enfants, de taire mes maux pour mieux m'occuper de ceux des autres.
Et voilà le flot de mes rimes sur lesquels je navigue aujourd'hui, au gré des jours bons ou moins bons. Ils me bercent, ils m'apaisent... je vous en offre l'écume du jour.

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