Le loup souverain – Christian Satgé

Petite fable affable, Cycle pyrénéen

Un loup régnait sur des vaux et des monts
Où paissaient bêtes à cornes et à laine
Payant tribut à ce cruel démon
Douze fois l’an, comme d’usage en plaine,
En chair fraîche. Et de son piémont,
Jusqu’aux plus hauts et lointains amonts,
Sa loi s’exerçait sans aucun partage
Sur les habitués du vain broutage
Comme sur les animaux sauvages
Qu’aucun homme ne mit aux pâturages.

La devise du sanguinaire glouton,
Qu’il demandait à ses émissaires
D’appliquer, était : « Tondez le mouton
Sans l’écorcher : on n’est pas des corsaires ! »
Ce que faisaient fort bien ces Tontons
Macoute-là, même les faux-jetons,
Leur maître étant aussi intraitable
Avec eux qu’avec ce bon gibier d’étable
Qui finirait un jour à l’autre à sa table
Et pas comme convive. Inévitable !

Or, un matin, notre terrible roi
Décida d’aller visiter un parent proche,
Habitant de lointaines roches, en proie
À une révolte de ses sujets, des gavroches
Sans feu ni lieu n’ayant plus effroi
À s’opposer à un souverain fort froid
Pourtant, impiteux et non moins tyrannique.
Pour s’éviter une pareille panique,
Notre garou laissa là sa meute à triques
Pour surveiller sa si paisible clique.

Alors tout ce bon peuple de valets,
Avec emportement, la mâle bête
Étant enfin loin, s’en prit, sans délai,
À ses sicaires, ses fils en tête,
Prêts toutefois à revenir vils agnelets
Et simples veaux, si son rocheux palais
La voyait, un beau matin, reparaître.
On eut de la Liberté le paraître,
Elle n’allait de sitôt disparaître
Débarrassé du lupin et de ses reîtres.

Or l’Ysengrin ne reparut jamais.
Un ours s’en avisa. Ce bon compère,
Avec ses pairs, mit lors prés et ramées
En coupe réglée pour un règne prospère
Au cri de : « Rasez de près le mouton
Puis le dépecez, c’est de bon ton ! »
On comprit dans ces verdureux parages
Que du Succès on se méfie : l’adage
Veut qu’on perde souvent son avantage
À ne voir qu’il peut apporter dommages !

© Christian Satgé – Octobre 2018

Nombre de Vues:

15 vues
Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

S'abonner
Me notifier pour :
guest

2 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
osaisArt9
osaisArt9
Invité
15 octobre 2018 1 h 24 min

Christian, j’adore ce prince des fprêts et longues plaines. il m’envoute
j’ai aimé lire votre fable. merci bien
Julie