La blessure d’une mère – Elodie Malval

Martha était meurtrie, on l’avait blessé au plus profond d’elle-même . Elle avait connu ce qu’aucune mère n’aurait souhaité connaître. Pour comprendre ce qu’il s’était passé, il fallait remonter le temps jusqu’à ce fameux jour. A ce moment-là, une partie d’elle venait d’être tuée. Elle continuait d’exister mais se comportait désormais comme un simple automate et attendait que son heure vienne enfin.

Sa plus belle réussite dans sa vie avait été son fils Klaus ; un beau garçon blond aux yeux bleus. Il avait eu beaucoup de succès avec les filles et pendant plusieurs années il avait même fréquenté une ravissante jeune femme.

Martha se voyait à cette époque déjà grand-mère. Elle n’avait jamais eu de fille et aurait souhaité avoir une petite-fille mais elle se disait que le plus important était avant tout qu’elle puisse être grand-mère.

Cependant, son souhait ne se réalisa jamais. La vie lui réservait un autre destin, mais malheureusement cela n’était pas arrivé à la bonne époque.

Quand elle avait fini par découvrir le lourd secret de son fils, elle avait longuement prié pour que personne ne le sache. si quelqu’un venait à l’apprendre, Klaus  était perdu.

Elle avait vu ce que ces hommes étaient capables de faire et elle avait très rapidement compris que devant leur effroyable quête à accomplir, rien ni personne ne pourrait les arrêter.

Martha et Klaus faisaient partis d’une famille très influente mais même cela ne pourrait pas les protéger.

Klaus l’avait su il y a très longtemps, mais il avait tenté de lutter contre cela un bon moment avant de lâcher prise. Il avait compris qu’il ne pouvait pas se voiler la face éternellement. Il n’était pas heureux avec celle qui partageait sa vie. Puis, il était tombé amoureux de quelqu’un d’autre. Il savait qu’il n’aurait jamais du s’éprendre de cette personne qui avait pourtant tout un tas de qualités.

Un beau jour, il avait entamé une liaison avec cette personne et ensemble ils avaient tout fait pour essayer de la cacher. Toutefois, aucun secret ne pouvait être préservé infiniment…

Martha avait été la première à percer leur liaison. Passé le choc, elle avait tout fait pour les aider à cacher ce qui risquait de les mener à leur perte. Elle avait eu un très mauvais pressentiment… Cette mère désemparée n’avait pas passé une seule journée sans prier pour que rien ne leur arrive.

Mais Klaus, malgré les recommandations de sa mère, avait ressenti le besoin de se confier. Il se sentait vraiment très mal. Il ne supportait plus de faire comme si de rien n’était avec sa compagne qu’il trompait. Son infidélité le rongeait trop. c’est ainsi qu’il avait fini par parler, toutefois on ne savait jamais vraiment à qui on pouvait réellement faire confiance.

Il s’était confessé au prêtre de son village, puis à une ou deux personnes qu’il croyait être ses amis. Toutefois, sans qu’il ne sache vraiment qui l’avait trahit, une des personnes à qui il s’était confié, avait fini par tout révéler aux dernières personnes qui auraient du être au courant.

A cette époque, peut-être qu’il aurait du garder cela pour lui, ne rien faire et être malheureux toute sa vie. Hélas, en voulant vivre libre, il avait fini par se brûler les ailes. Il était tout simplement né à la mauvaise période, comme beaucoup en ce temps là. Les choses auraient été bien différentes s’il avait vu le jour quelques années plus tard.

Martha était une femme très intelligente et fréquentait un cercle d’intellectuels. C’est de cette manière qu’elle avait fini par apprendre à son plus grand désarroi que plusieurs ouvrages littéraires «de dégénérés » comme on avait pu l’entendre, venaient d’être confisqués. La censure et la propagande étaient plus présentes que jamais.

Les choses s’étaient accélérées en 1938, année où les persécutions homosexuelles étaient à leur apogée sous le troisième Reich de l’Allemagne nazi. Et comme en France ou ailleurs, la délation était plus présente que jamais, elle était amplifiée sous l’effet de la peur et de la propagande nazi. Partout en Europe, on voyait des juifs être dénoncés, des homosexuels, des tziganes, des résistants … Toutes ces personnes allaient voir leur vie basculer dans les ténèbres.

Le 4 avril 1938, pendant que Klaus vivait secrètement son amour avec Franz, une directive de la Gestapo venait de proclamer que « les hommes convaincus d’homosexualité seraient incarcérés dans des camps de concentration ». La traque allait s’intensifier et les agents infiltrés étaient de plus en plus présents.

Le jour où tout allait basculer, arriva quelques mois plus tard. Des agents de l’Office central du Reich pour la lutte contre l’avortement et l’homosexualité * firent irruption chez Martha dans son domicile berlinois.

-Où est-il Madame? avait demandé l’un des hommes à Martha

-Je vous dis qu’il n’est pas ici ! avait-elle hurlé

Ils embarquèrent sans aucun scrupule son fils adoré, Klaus.

-Vous ne pouvez pas faire ça!

– Pitié! Je vous en supplie, laissez-le ! Disait-elle, en pleurant toutes les larmes de son corps.

-Ne t’en fais pas maman, ça va aller… lui avait dit Klaus, les yeux humides, tout en sachant que ce n’était pas la réalité.

Elle avait alors regardé son fils s’éloigner, avec les hommes de la Gestapo.

Ce fut le dernier jour qu’elle avait passé avec son lui. Après cela, elle ne retrouva plus jamais sa trace. Son cœur lâcha quelques années plus tard. Elle n’avait pas supporté de vivre tout en sachant que son fils était peut-être livré à un sort bien pire que la mort. De nombreuses fois elle avait prié pour que son âme repose en paix. Cependant, était-il réellement décédé?

-Où peux-tu bien être mon trésor? S’était-elle demandée avant de quitter ce monde.

 

* En 1936, Himmler se chargea de créer au sein de la police de sûreté, un Office central du Reich pour la lutte contre l’avortement et l’homosexualité. De nombreux homosexuels internés ont subi des méthodes expérimentales justifiées par des recherches scientifiques, proches de la torture ; certains ont même été mutilés. Durant le troisième Reich, les nazis ont pratiqué l’eugénisme, qui consistait notamment par le biais de recherches médicales et scientifiques a favorisé la fécondité des êtres humains dits supérieurs et à limiter celle des êtres humains considérés comme « inférieurs » par le régime nazi gouverné par l’idéologie aryenne.

La lutte contre l’avortement et les homosexuels est un pan de l’histoire du régime nazi souvent oublié. Les atrocités commises à cette époque étaient extrêmement nombreuses.

 

Extrait du recueil de nouvelles à chute « l’échappatoire de l’âme » écrit par Elodie Malval

© 2016 Auteur Élodie Malval. Tous droits réservés.

Illustration: siège  de la Gestapo (police secrète du troisième Reich) à Berlin

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Claudine Bazoge
Membre
8 janvier 2017 20 h 01 min

Bonsoir,

Un sujet toujours douloureux. Il est important de rappeler les horreurs d’une époque qui n’est pas si lointaine. Et puis les trahisons … Merci pour cette nouvelle qui nous rappelle que l’horreur est humaine comme disait Coluche.