Inondés – Naëlle Markham

Pour la première fois il y a cent trente-sept jours de cela, j’ai dormi dans ma caravane fraîchement acquise. Pour de nombreuses raisons, dont l’une présente dans votre existence à tous, à savoir les chamboulements causés par le Covid 19, j’ai décidé de me mettre au vert pour compenser un peu toute cette vie sociale qui s’est évaporée du jour au lendemain.  Et pour peaufiner la chose, j’ai choisi pour ma résidence secondaire sur roues un emplacement au cœur d’une réserve naturelle préservée par de multiples traités nationaux et internationaux.

Il y a quinze jours, j’ai pris conscience d’un fait pourtant sous mon nez depuis longtemps puisque mon sommeil en a été la victime : l’antenne-relais qui se dresse à quatre cents mètres de mon appartement a changé de statut. Discrètement, sans trop de tapage médiatique, elle a commencé à diffuser en 5G (et en forte puissance, sinon ce ne serait pas drôle).

Sans être électrosensible (en fait, je n’en sais rien), je me sens pourtant depuis toujours interpellée par la problématique des champs électromagnétiques : par exemple, il y a tout juste vingt ans, j’ai acheté mon appartement sur la base d’une assurance ferme et définitive, celle que la ligne à haute tension surplombant le bâtiment allait être démantelée ; je n’ai pas de four à micro-ondes chez moi pas plus que de plan de cuisson à induction (mais zut, oui, j’ai un Wi-Fi) ; pendant vingt-cinq ans, j’ai promené partout dans mes voyages mon détecteur de champs électromagnétiques, vous savez, cet engin qui crépite comme un compteur Geiger tombant nez à nez avec un élément radioactif. À ce jour et de ce que j’ai personnellement mesuré, le titre de meilleur endroit sans ondes revient aux forêts de Calabre.

Tout cela dit, retour dans le vif du sujet : les ondes dans les endroits « naturels ».

Première remarque : un camping, même dans une réserve naturelle, n’est pas à l’abri des ondes – y figure entre autres perturbateurs une antenne-relais pas loin, dans mon cas à un kilomètre et demi ; le résultat de mes premières mesures me déçoit, je m’attendais à mieux. Cependant, bonne nouvelle : une caravane, dont la structure est en aluminium, agit comme une espèce de cage de Faraday[i] ; ses cloisons bloquent en grande partie les ondes arrivant de l’extérieur (elles ne les absorbent pas). Mais… mauvaise nouvelle : elle garde prisonnières de l’habitacle celles qui s’y trouvent et qui dès lors ricochent sans fin contre les parois métalliques faute de pouvoir s’échapper.

Solution : mon détecteur, de rouge sang, a passé au vert une fois désactivés tous les appareils électroniques que j’avais avec moi. Pour être plus précise, je n’ai pas enclenché le mode “avion”, trop radical. J’ai juste mis sur off le Wi-Fi, le Bluetooth et les données mobiles : de cette façon, l’envoi et la réception d’appels téléphoniques sont toujours possibles (en cas d’urgence par exemple). Je tiens tout de même rappeler à certains allumés du portable qu’à la base un téléphone, c’est fait pour téléphoner, même La Palice en aurait convenu… (tout comme une certaine pub de la Pomme). Donc, après fermeture des vannes à ondes, même si la caravane n’est pas devenue une zone blanche [ii], la différence est toutefois flagrante. Sachant que la graduation de l’échelle des valeurs est logarithmique[iii], je dirais que la baisse approche des quatre-vingt-dix-neuf pour cent…

Deuxième remarque : sortie de ma caravane, à bonne distance du camping, je dégaine mon détecteur, cette fois en pleine nature. Bonne surprise (espérée tout de même) : la diode est au vert et s’éteint même complètement à certains endroits, célébrant l’absence de tous champs délétères. Le haut-parleur de l’appareil en perd même la voix, plus de bruit de neige, de claquements ou de sifflements, il est muet. Que du bonheur pour quelqu’un qui serait électrosensible.

Le hic, bien évidemment, c’est qu’on est dimanche, un dimanche d’hiver Covid 19 et que les chemins forestiers sont envahis d’une foule inhabituellement dense : bien sûr, me direz-vous… plus de restaurants, de fitness, de voyages et autres activités ludiques… Par curiosité, j’allume mon appareil avant de croiser ces promeneurs dominicaux. Je me vois dans leurs regards comme l’accro qui fixe son Natel tout en marchant, vu la forme dudit engin et mon regard braqué dessus. Ils ont tout faux… Je suis juste hypnotisée par la diode qui passe du vert au rouge à la plupart des rencontres (pas toutes donc ; certaines personnes avaient quand même été capables de couper ce cordon ombilical qui les enchaîne au reste du monde). Un rouge plus ou moins marqué selon qu’il s’agit d’une ou plusieurs personnes, un ou plusieurs téléphones ou appareils “connectés” (pour information, mon téléphone est resté dans la voiture ; je voulais être sûre qu’il n’influencerait pas les mesures).

Parmi ces gens, je compte beaucoup de familles, plein de poussettes et d’enfants. Il y a bien longtemps – les téléphones portables n’existaient encore pas – , jeune mère de famille, je partais comme eux, en vadrouille par monts et par vaux, le long des lacs et des rivières, convaincue de donner le meilleur à mes enfants avec le bon air d’une promenade dans une nature préservée, loin des villes, des gaz d’échappement et des fumées en tous genres. Seulement voilà, combien d’entre nous sont conscients qu’avec nos habitudes actuelles, nous ne nous éloignons pas de la pollution ? Au contraire, nous l’amenons avec nous, sur nous, partout où nous allons (j’avoue… là, je ne parle pas plus seulement des ondes, mais ce sera un débat pour une autre fois).

Après avoir fait une pause dans mes mesures et la causette sur ce sujet avec une petite famille dont le père désabusé a évoqué les “apprentis sorciers”, j’ai poursuivi ma route et visualisé chaque personne “inondée” entourée d’une bulle rouge sang, ou plutôt rouge “feu”. Chacune de ces bulles lançait ses rayons pathogènes [iv] à l’intérieur d’elle-même et tout autour d’elle, en direction des autres personnes, de la nature. Même si ces “bulles” (selon mon graphisme, des gouttes d’eau pointe en bas) étaient somme toute peu nombreuses en ce lieu, elles me sont apparues comme les prémices de l’incendie qui fait rage là où elles se réunissent par milliers, par millions, un incendie qui dévaste en premier lieu les corps, puis tout ce qu’il trouve aux alentours. Mon imagination a ainsi survolé les ravages de cet incendie sans flammes dans les bâtiments locatifs, les lieux publics, les écoles, les supermarchés, les transports, tous ces endroits très fréquentés où sévissent les Wi-Fi (ce sont les pires pour ce qui est de la nocivité) et autres agresseurs “ondulants”.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Fallait-il vraiment aller si loin ? Quand apprendra-t-on à s’arrêter avant de faire plus de mal que de bien ? Quelle est cette cupidité, cette avidité de l’être humain à ne jamais se contenter de ce qu’il a, jusqu’à aller au point de non-retour ? Pour les promotions dans les échelons d’une hiérarchie, on parle souvent du “seuil d’incompétence” [v], à savoir le stade auquel une personne ne devrait pas accéder au risque d’être inapte à faire ce qui est attendu d’elle à ce niveau-là. Notre biologie – y compris celle de notre cerveau – évolue sur une échelle linéaire depuis des millénaires et personne aujourd’hui ne peut se targuer de décrypter ce que la croissance exponentielle de l’industrie et de la technologie fait réellement subir à nos organismes. Parce que nous avons déjà dépassé notre “seuil de compétence” … Mais qui en est vraiment conscient ? Homo sapiens sapiens aujourd’hui, oui… mais demain ? Y aura-t-il même un demain ?

En résumé, nous sommes inondés de toute part, car nous avons délibérément submergé notre planète du pire de nous-mêmes. Et les ondes ne sont qu’un exemple parmi les maux que vous tous connaissez : le plastique, les pesticides, le nucléaire, les gaz à effet de serre. Il est temps désormais de préparer le reflux avant que notre Terre ne s’en charge. Car si rien n’est fait, le jour où elle décidera de s’occuper de nous, croyez-moi, nous ne ferons pas le poids. [vi]

©

s.e. & o. en ce qui concerne la partie purement scientifique

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Notes de fin

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[i] Telle qu’elle a été étudiée par Michael Faraday lors de ses travaux sur les conducteurs, la cage de Faraday est une enceinte en aluminium conductrice qui est reliée à la terre de façon à maintenir son potentiel fixe ; elle est étanche aux champs électriques (créés par la simple présence d’une différence de potentiel, sans qu’un courant soit nécessaire), que la source perturbatrice se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de la cage (https://fr.wikipedia.org/wiki/Cage_de_Faraday).

[ii] Une zone blanche est, dans le domaine des télécommunications, une zone du territoire qui n’est pas desservie par un réseau donné, plus particulièrement un réseau de téléphonie mobile ou par Internet (https://fr.wikipedia.org/wiki/Zone_blanche)

Par extension, une zone blanche est une zone vierge de toute pollution électromagnétique et dans laquelle les hyper électrosensibles peuvent vivre (ou survivre je dirais, tant leur rayon d’action est limité).

[iii] L’échelle logarithmique place les valeurs sur l’axe en croissance exponentielle. Des points écartés d’une même distance représentent des valeurs dans le même rapport. Avec l’échelle linéaire, deux graduations dont la différence vaut 10 sont à distance constante. Avec l’échelle logarithmique, deux graduations dont le rapport vaut 10 sont à distance constante (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89chelle_logarithmique).

En gros et pour simplifier, disons que c’est une échelle exponentielle, un peu comme l’échelle de Richter pour quantifier les séismes, chaque point est 10 fois plus fort que le précédent (Naëlle).

[iv] Pathogène : qui a la potentialité de causer une maladie.

[v] Principe de Peter : Le principe de Peter (appelé parfois “syndrome de la promotion Focus”) est une loi empirique relative aux organisations hiérarchiques proposée en 1969 par Laurence J. Peter et Raymond Hull dans leur ouvrage The Peter Principle (traduction française Le Principe de Peter, 1970). Selon ce principe, “dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence”, avec pour corollaire que “avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité”. L’ouvrage de Peter et Hull est rédigé sur un ton satirique, voire humoristique, mais le principe qu’il expose a pu faire l’objet d’études universitaires qui ont étudié sa validité par la modélisation ou par la confrontation à des cas réels, certaines concluant à sa validité complète ou partielle (https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_Peter).

[vi] Pour ceux qui l’ont lu, voir l’épilogue de La Porteuse de pluie sur amazon.fr (of course, il ne fait pas partie des extraits en ligne).

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